Animals
Souvenez vous il y a déjà 30 ans en 1977. 1977 : Charlie Chaplin fait sa dernière pirouette et les feuilles mortes, orphelines de Prévert nous disent adieu, l’Orient Express fait son dernier voyage, la vague disco est à l’apogée de sa gloire (beurk!), Astérix et Obélix deviennent orphelins, le monde entier entonne les deux hymnes de Queen : We Will Rock You et We Are the Champions, une bande de punks pseudo-anarchistes nous cassent les pieds, et Roger Waters n’est pas encore totalement mégalomane, l’époque où Pink Floyd est encore Pink Floyd.
Cette période est bientôt finie, mais on peut dire qu’elle se clôt d’une façon plus que magistrale, avec un album, et pas n’importe lequel : Animals, l’épopée d’un cochon gonflé à l’hélium survolant une musique dure et glaciale plongée dans la noirceur des plus grands thèmes orwelliens.
Il est à noter que quand ce troupeau de punks est arrivé cette année là, ils avaient choisi Pink Floyd comme tête de turc préférée, ainsi que d’autres grands groupes de rock progressif. Roger Waters qui – excepté si c’est pour dire qu’il est un musicien exceptionnel et le plus grand génie de l’histoire du rock – ne supporte pas qu’on fasse des remarques à son sujet, le prend très mal (ce qui est compréhensible, cela ne doit pas être très plaisant d’être la cible d’une bande de punks sans réelle personnalité musicale !), il décide de durcir le son du groupe !
ATTENTION! Nous ne sommes pas encore à l’époque où Waters nous ennuie (en tout cas moi !) avec ses histoires de mur et d’aliénations bouffies d’orgueil. Non, non ! Waters est certes l’inspiration et l’âme principale de cet album, mais l’esprit de groupe est toujours là. En bref, Pink Floyd reste Pink Floyd mais se renouvelle et montre un nouveau visage à ses fans avec une musique sauvage et agressive : le talent lyrique de Waters est là, les belles plages de guitares de Gilmour également, ainsi que les percussions exceptionnelles de Mason.
Ce que les fans de la première heure d’albums tels que The Dark Side of the Moon ou Wish You Were Here peuvent reprocher à cet album ce serait l’absence de Rick Wright. En effet, le claviériste du Floyd se manifeste certes très peu sur cet album – selon lui car il n’était pas inspiré par le concept de l’album (il le sera encore moins pour The Wall !) – mais on a l’air de vite oublier les belles intros aux claviers qu’il nous signe sur des morceaux comme Pigs ou Sheep.
Donc, Animals est un album à part entière de Pink Floyd, contrairement à The Wall qui est un album solo de Waters ou The Division Bell qui est un album solo de Gilmour, ou pire, A Momentary Lapse of Reason un album de U2 avec marqué Pink Floyd dessus. En avant donc pour ce qui est pour moi le dernier VÉRITABLE album de Pink Floyd.
Le concept de l’album est fortement inspiré par le magnifique livre de George Orwell La ferme des animaux racontant une révolution communiste dirigée par des animaux dans une ferme (et peut-être aussi de son autre livre 1984 dans la vision de Waters de la société britannique). Dans l’album, Waters s’attaque également au capitalisme.
L’album débute sur un titre acoustique dans une veine à la fois proche de Bob Dylan et aussi de Neil Young par certains côtés, une balade dédiée à sa femme Caroline (si je me rappelle bien), un peu cynique, débouchant tranquillement sur le concept de l’album : Pigs on the Wing, part 1.
Les 17 minutes de Dogs sont certainement la pièce maitresse de l’album. Waters dénonce le manque de scrupules chez les personnes qui veulent arriver au pouvoir grâce à un phrasé venimeux, cynique et efficace ; entrecoupé par les solos de Gilmour qui ici durcit son style sans renier le côté blues qui a fait le charme du son de Pink Floyd. Il nous prouve une fois de plus, dans un nouveau registre, qu’il est un guitariste excellent. Il faudra attendre 15 ans, avec l’album Amused to Death, pour que Waters atteigne à nouveau un tel niveau de perfection dans une composition musicale et les paroles.
Au tour des cochons maintenant : Pigs, une critique envers les tendances dictatoriales, envers ceux qui dirigent. Malgré quelques longueurs entre le second et le dernier couplet, le titre possède une fraicheur incroyable. Le chant de Waters est absolument parfait et Gilmour clôt le morceau avec une performance exceptionnelle à la guitare !
Enfin, Sheep, peut-être le titre le plus radiophonique de l’album malgré sa longueur de 10 minutes. L’intro aux claviers porte directement le sceau de Rick Wright, le tempo est dur, Waters traite ici des masses abusées qui n’ont d’autres choix que de suivre le mouvement et d’être les têtes de turc des chiens et des cochons. Le meilleur reste l’emphase biblique de Waters disant à nos amis moutons de se révolter et de se libérer de leurs tyrans.
Enfin, l’album se clôt par le titre qui l’a ouvert (comme l’album Wish You Were Here avec Shine on You Crazy Diamond, mais dans un registre différent), Pigs on the Wing, part 2 est une réponse à Pigs on the Wing, part 1 :
« Si tu ne faisais pas attention à ce qui m’arrive. Et si je ne me souciais pas de toi. Nous zigzaguerions entre l’ennui et la souffrance (…) Tu sais que je me soucie de ce que tu deviens. Et je sais que tu te soucies de moi. Alors je ne me sens pas seul. Ni entrainé vers le bas »
Tout comme Dark Side of the Moon et Wish You Were Here, Animals est un grand succès. L’album est N°2 en Angleterre et N°3 aux États-Unis et il débouche sur une tournée mondiale incroyable qui donnera certainement les meilleurs bootlegs du groupe (malgré le fait que Waters pètera un câble et s’en prendra à un pauvre fan qui ne faisait rien d’autre que de hurler pendant tout le concert).
La pochette, représentant un cochon gonflé à l’hélium flottant sur l’usine de Battersea, reste une des plus belles du groupe, et un des plus grands symboles chez Pink Floyd au même titre que le prisme, le défilé de marteaux, la vache totalement banale ou encore la poignée de main artificielle.
Bref, un des albums les plus connus de Pink Floyd, de quoi remplir le petit cochon (tirelire) personnel du groupe. Mais ce succès est amplement mérité, car en pleine vague punk, Pink Floyd nous livre un album d’une force extraordinaire, à l’ambiance glaciale, sombre, plongée dans une musique d’une noirceur totale mais pourtant si touchante. À côté de ça, les Sex Pistols peuvent aller se rhabiller.
Animals est également, en quelques sortes, le chant du cygne d’un groupe qui vient de bruler ses dernières cartouches. Jamais plus (malheureusement) Pink Floyd n’atteindra un tel niveau musical. Par la suite, Roger Waters va péter les plombs, concevoir The Wall et sombrer dans une prétention symphonique ridicule. Et le groupe, repris par Gilmour dans les années 80, va faire des albums à peu près aussi passionnants que ceux de Police ou Dire Straits.
Animals reste l’album ultime de ce qui était, souvenez-vous bien il y a plus de 30 ans, un des grands groupes de la galaxie rock !
Auteur de la page :
MP.