Robert Wyatt - Rock Bottom (1974)
1974 est une année qui ne manque pas d’intérêt dans le rock, surtout dans celui qui se dit progressif. Écoutez un peu toutes les pépites qui sont sorties cette année là: Apostrophe de Frank Zappa, Relayer, un des albums les plus audacieux de Yes, The Lamb Lies Down On Broadway, l’œuvre culte de Genesis ou encore les deux chefs-d’œuvre de King Crimson: Starless and Bible Black et Red. Mais si il y a un bien un album dont je meurs d’envie de vous parler, c’est bien Rock Bottom. Album à la fois culte (il est souvent présent dans les bibles « rock ») et discret (il reste très méconnu du grand public), c’est le genre d’album que tout amateur de rock ou de bonne musique se doit de connaître et de mettre en bonne place dans sa discographie. Car nous avons à faire, ici, à un véritable chef-d’œuvre qui possède toutes les qualités et toutes les élégances: mélodies sublimes, fraîches et émouvantes, musiciens talentueux et brillants, influences classiques, orientales et jazz, ambiances ésotériques et enivrantes. De la première à la dernière note, Rock Bottom est un voyage mémorable qui trouble, positivement, l’auditeur en le plaçant dans des atmosphères musicales uniques et féeriques.
Mais revenons un peu en arrière pour en savoir un peu plus sur cet album et sur Robert Wyatt. Robert Wyatt fut le batteur du groupe avant-gardiste Soft Machine (groupe qui fit les beaux soirs de l’UFO avec Pink Floyd), groupe qui allait créer une musique profonde mélangeant, intelligemment, psychédélisme sombre et inquiétant, et électrojazz chaleureux et délirant. Wyatt quitta le groupe après l’album Third, puis fonda un petit groupe éphémère nommé Matching Mole. En 1973, à la suite d’une soirée dont on ne sait, au final, que très peu de choses, Robert Wyatt s’est essayé à l’alpinisme sur la façade d’un immeuble. Il prend pied sur une gouttière pourrie et tombe du quatrième étage… Condamné, ainsi, à rester le restant de ses jours dans un fauteuil roulant. Cet accident dramatique engendra la naissance de Rock Bottom.
Produit par Nick Mason (oui, le figurant de chez Pink Floyd), Robert Wyatt est, également, accompagné sur cet album par une ribambelle de musiciens extraordinaires. Richard Sinclair (de Caravan) et Hugh Hopper (de Soft Machine) aux guitares basses, le jeune et talentueux Mike Oldfield à la guitare électrique, le brillant Fred Firth (de Henry Cow) au piano et au violon, ainsi que Gary Windo au saxophone et le maître de cérémonie, Robert Wyatt, aux claviers et au chant. Se débarrassant totalement du style « Canterbury » propre à son ancien groupe Soft Machine (et dont on retrouvait des échos sur son premier album solo: The End of an Ear), Wyatt compose, ici, un rock unique et original qui ne s’inscrit dans aucun registre particulier tant sa richesse artistique est gigantesque et variée. Sea Song, qui ouvre l’album, plonge directement l’auditeur dans un monde inconnu et nouveau où la voix de Robert Wyatt sert de guide pour ne pas se perdre à travers les sonorités envoûtantes qui se développent. Le reste est tout aussi excellent: A Last Straw et sa rythmique mémorable, Little Red Riding Hood Hit The Road et ses trompettes jouissives, Alifib et sa sensualité douce, Alife et son mysticisme fascinant et puis le final poignant Little Red Robin Hood Hit The Road qui résume, à lui seul, toute la force de cet album. Chaque titre de ce disque est une expérience humaine unique et enrichissante.
Posséder Rock Bottom c’est bien plus que posséder un simple disque, c’est un compagnon de route essentiel dans le parcours d’un mélomane. Robert Wyatt a signé, avec ce Rock Bottom, un chef d’œuvre sur lequel le temps n’a aucune emprise car déconnecté de toute époque et de tout registre. C’est la beauté suprême représenté, une page d’éternité mise en musique. Un mot: MAGNIFIQUE!
Auteur de la page : MP (chronique).