Van Der Graaf Generator - Godbluff (1975)
Le rock progressif britannique est, tout de même, une formidable auberge espagnole où le meilleur côtoie souvent le pire. Dans cette vaste auberge on peut dire, sans craindre le ridicule, que Van Der Graaf Generator est placé sur le haut du podium avec deux ou trois autres (je pense notamment à King Crimson et Henry Cow). Aucun groupe, à ma connaissance, ne peut se vanter d’avoir fait un parcours aussi irréprochable sur une aussi longue durée (Van Der Graaf Generator existe toujours aujourd’hui et il est en pleine forme). En 1975, le rock progressif britannique est sur la pente raide: King Crimson s’est dissout en 1974, Soft Machine a perdu de la force et de la grandeur tout comme Gentle Giant. Quant à Pink Floyd, s’il perfectionne son style (Wish You Were Here), il n’évolue plus, tout comme Genesis (qui vient de perdre Peter Gabriel et qui fera A Trick of The Tail un an plus tard). Le rock progressif devient plus radiophonique (Yes, Supertramp) et est, bel et bien, entrain d’agoniser tandis que le punk commence à naître tout doucement.
C’est dans ce contexte que Van Der Graaf Generator va revenir après quatre ans d’absence (le groupe s’était séparé quelques instants après la sortie du fameux Pawn Hearts) et va pondre ce qui reste, selon moi, son meilleur album. Godbluff présente un nouveau Van Der Graaf Generator : un Van Der Graaf Generator plus mûr, plus mature, plus abouti mais toujours aussi fou, toujours aussi agressif et toujours aussi audacieux. Un niveau de perfection rarement atteint dans le genre, des compositions solidement construites et structurées, des qualités de « songwriting » dont très peu de groupes dit progressifs peuvent se vanter (certaines paroles sont tellement sublimes qu’elles peuvent évoquer certains grands moments d’Edgar Allan Poe). Mais surtout une voix, celle de Peter Hammill : unique, adulte et enragée. Une théâtralité vocale lavée de toute superficialité et de toute transparence, et qui propose une palette riche d’émotions variées et diverses.
Les autres membres sont aussi au top et notamment David Jackson et Hugh Banton qui constituent, indéniablement, à eux deux la force musicale du groupe. David Jackson développe, ici, au maximum un jeu fort et profond de saxophone qu’il avait déjà mis en place dès les premiers albums du groupe (The Least We Can Do Is Wave to Each Other, H To He, Who Am the Only One). Quant à Hugh Banton, il met en place des sonorités violentes, ésotériques mais belles à l’opposé des plages de synthé fluides qui ont fait le succès de certains groupes « prog » (Genesis, Yes, Pink Floyd post-Barrett). Les deux compères mettent en place, ici, un style qui perdurera pendant près de trois ans. Ajoutez à cela, le batteur Guy Evans qui nous signe une rythmique d’une rare musicalité faisant preuve d’un magnifique sens mélodique.
Quant au contenu du disque : ce n’est que du bon ! Godbluff contient certaines des plus belles pièces de l’histoire de Van Der Graaf Generator : The Undercover Man et son introduction sobre et élégante à la flûte, Scorched Earth et sa structure mélodique infernale, nerveuse voire dangereuse (les oreilles sensibles soyez prudentes car, ici, c’est un véritable dépucelage des tympans auquel vous devrez faire face), Arrow, pièce envoûtante et grand moment de la discographie du groupe (au même titre que A Plagues of Lighthouse Keepers sur l’album Pawn Hearts ou La Rossa sur l’album Still Life). Enfin, en clôture du disque, The Sleepwalkers, le classique parmi les classiques, qui tient l’auditeur dans un périple mental et musical de plus de dix minutes : changements de rythme, montées de tension, jams étourdissantes, la totale.
Godbluff est, probablement, le meilleur disque du générateur. C’est également une renaissance dans le monde du rock progressif, Godbluff est une merveilleuse synthèse entre deux courants de la musique rock: un courant qui perd son souffle (le rock progressif) et un autre prêt à éclore (le punk). Dans le courant progressif, Godbluff fait office, à l’époque, de véritable salut pour un genre qui est entrain de mourir (soit en sombrant dans des prétentions symphoniques ridicules et pompeuses, soit en virant FM). Il redistribue les cartes du prog et lui apporte un nouveau souffle (dont il avait tant besoin). Cet album amorce, également, une trilogie musicale qui sera poursuivie avec Still Life et conclue avec World Record. Quarante minutes en état de grâce, quarante minutes de génie.
Auteur de la page : MP (chronique), Sydalie.