Beat
Scan et transcription de la chronique de l’album Beat de King Crimson par Thierry Chatain, parue dans Rock & Folk en août 1982.
Scan
Transcription
KING CRIMSON
Beat
EG 2311 156 (dist. Polydor)
Dans le communiqué de presse qui accompagne la sortie de ce disque, Robert Fripp insiste sur le fait que King Crimson est maintenant (enfin !) redevenu ce qu’il était à l’origine : un groupe et non pas son groupe. Un groupe qui, ne l’oublions pas, a vu le jour sous le nom Discipline avant d’être jugé digne de porter celui de King Crimson. C’est justement l’une des choses qui frappent le plus à l’écoute de « Beat » : la formidable discipline de cette musique, où pas une note n’est gratuite. Discipline qui va de pair avec la totale liberté laissée à chacun des membres du quatuor. Par ce côté, le King Crimson nouveau tient au moins autant de l’esprit du jazz le plus noble que de celui du rock. Pourtant, il n’est pas question un instant de jazz-rock dans « Beat ». D’ailleurs, aucune étiquette ne peut être collée à King Crimson sans ridicule, pas plus celle de « free » que de « heavy metal » (cette musique est souvent lourde — pas lourdingue, hein, ne me faites pas dire n’importe quoi — et métallique) : King Crimson joue sa musique, comme il l’a toujours fait. Musique âpre, en angles tranchants universaliste, dont on pourrait définir l’essence en disant qu’elle est basée sur des équilibres dynamiques (prenez ça comme vous voulez). Si « beat » il y a, il est fréquemment irrégulier, impair, bancal même (volontairement), aux antipodes et pourtant cousin des rythmes carrés habituels au rock (« Waiting Man », « The Howler »). Et ce n’est pas une question de « rythmique », car cette notion ne s’applique plus vraiment ici, chacun des instrumentistes assument une partie de cette fonction, parmi d’autres, à armes égales. Le jeu de batterie de Bruford (souvent aux percussions) est autant fait de ponctuations, de relances, de commentaires que de rythme proprement dit, et la basse de Tony Levin, grondante, dialogue avec les autres instruments plus qu’elle ne les accompagne — c’est particulièrement évident sur l’instrument final, « Requiem », bâti autour de « Frippertronics ». Quant aux guitares de Fripp et Adrian Belew, elles ne sont jamais placées comme on les attendrait, à la limite de l’incohérence, au premier abord, mais si complémentaires finalement que l’on a du mal à distinguer qui fait quoi, les deux étant totalement inédites. La voix de Belew est traitée comme un autre instrument, heureusement débarrassée des tics byrniens qui pouvaient irriter sur « Discipline ».
Puisque l’on évoquait le jazz tout à l’heure, c’était bien sûr la musique de prédilection de la « Beat génération » dans les années 50, et « Beat » justement lui rend hommage, au moins dans sa première face, très directement. « Neal And Jack And Me » est une transcription impressionniste (dans le texte) et frénétique (dans la musique) du feeling de Kerouac et Neal Cassidy (alias Dean Moriarty dans « Sur La Route »), « Heartbeat » évoque le film qui leur a été consacré il n’y a pas si longtemps, et « Sartori In Tangier » est un instrumental au funk martial et orientalisant dont le titre plagie volontairement « Sartori à Paris » de Kerouac. Il n’y a pas à tortiller. King Crimson a le beat, comme les Go-Go’s mais pas de la même façon, et mille autres choses encore. Lui faudra-t-il aussi l’image pour se faire entendre ?
— THIERRY CHATAIN.
Auteurs de la page : Alistair (scan), Mnzaou (transcription).