Discipline
Scan et transcription de la chronique de l’album Discipline de King Crimson par Dali De Clair, parue dans Rock & Folk en octobre 1981.
Scan
Transcription
Robert Fripp a ressuscité King Crimson au bout de sept années de cryogénie… et l’on crie au génie. Embaumé à présent dans une pochette violette représentant le livre des Kells (VIIIème siècle), le nouveau King Crimson est un véritable hymne au futur. “Discipline” est l’aboutissement d’une carrière, le résultat d’une évolution personnelle qui a conduit Fripp des labyrinthes de la “Cour du Roi Cramoisi” aux cris primaux de “Exposure” et “God Save The Queen/Under Heavy Manners”, aux ritournelles joyeuses de la League of Gentlemen et aux méandres hypnotiques (“Frippertronics”) de “Let The Power Fall”.
Le nouveau quatuor King Crimson (signifie en fait Belzébuth) a concocté un amas sonore des plus colorés. Sa musique est à la fois gothique et cristalline, la rythmique à la fois volcanique et terriblement disciplinée. Plus de violon ni de mellotron… Le groupe possède à présent deux guitaristes. Le nouveau venu est le guitariste préféré de Fripp, Adrian Belew, qui chante également ses propres textes et forme, avec Fripp, le duo le plus original depuis les enchanteurs de Television. Les deux musiciens, qui se complètent miraculeusement tout au long des sept compositions, vous chatouillent le cerveau par leurs motifs répétitifs et interpénétrants, leurs accords métalliques - à la limite du désaccord - et leurs sonorités et juxtapositions imaginatives. Sur “Discipline”, Fripp et Belew font appel à plus d’effets de vibrato, de larsen, de dédoublements et feedback harmonique qu’on n’en trouve sur un disque de Jimi Hendrix. La voix d’Adrian Belew vogue entre le soul (“Frame By Frame”) et la théâtralité des intonations de Davis Bowie dans “Elephant Man” (“Elephant Talk” justement).
L’autre duo, Bill Bruford - qui a dû abandonner bon nombre de ses idées -, assisté par Tony Levin à la basse, apporte une cohésion, une profondeur animale et une variété qui manquaient tant au King Crimson de “Red” ou “USA”, et surtout à la Ligue des Gentilshommes.
On retrouve bien sûr sur cet album vivifiant et ensorceleur le grondement furieux des derniers sursauts publics du K.C. 1974: “Indiscipline”, le fouillis obsessionnel des Frippertronics: “Matte Kudasai” (“Attendez, s.v.p.” en japonais), les voix parlées, les vocaux agressifs, la rythmique acerbe de “Exposure”: “Thela Hun Ginjeet” (anagramme pour “The Heat In The Jungle”) et le grouillement dansant de la League Of Gentlemen (que Fripp a sarcastiquement rebaptisée: The Plague Of Gentlemen !); le tout étant plus concis et exquisément intégré dans l’ensemble.
La composition la plus mystérieuse de l’album est certainement “The Sheltering Sky” qui, tout en dépassant l’expérience Byrne-Eno, atteint une beauté nouvelle grâce aux effets électroniques des guitares-synthé, la stick-bass de Levin et la slit-drum africaine de Bruford.
Fripp avait fait graver dans le vinyle de son dernier album solitaire: “La musique nouvelle n’est pas un style, mais une qualité…”. Le présent disque renferme une musique de qualité abrasive, une lave brillante où trouveront racine les musiques de l’homme du XXIème siècle… schizoïde ou non.
Auteurs de la page : Alistair (scan), Sydalie (transcription).