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David Gilmour : Full of Secrets

Scans et transcription de l’interview David Gilmour : Full of Secrets parue en décembre 2006 dans le numéro 146 du magazine Guitar part.

Scans

Transcription

En ce nouveau millénaire, que reste-t-il de Pink Floyd ? Une gloire immense ravivée par leur réunion pour le Live 8, qu’on a presque l’impression d’avoir rêvé. Pas d’album, pas de tournée. Gilmour et Waters, les frères ennemis, ont été clairs là-dessus. Les fans se satisferont du nouvel album solo du guitariste légendaire. Dans un entretien historique, tant l’homme se fait rare, par sa durée (cinq heures), Gilmour se confesse. Pink Floyd, se vie, la mort, Roger, Syd… Il ne cache (plus) rien.

Les cordes rutilent, la contrebasse gronde, le saxophone montre le bout de son nez. La tête inclinée sur sa console, David Gilmour et ses deux ingénieurs écoutent attentivement. Encore et encore et encore… Red Sky At Night, un court instrumental de son tout nouvel album solo, On An Island, correspond à ses débuts au saxo. Il nous rejoint sur un banc au fond de la salle de commandes à l’arrière de l’Astoria, le chaland habitable de Gilmour qui lui sert de studio sur la Tamise depuis une vingtaine d’années. C’est un lieu calme, parfaitement aménagé, de bon goût, à l’image de son propriétaire. Aucune référence à l’énorme carrière de Pink Floyd. Rien pour refléter la fureur et l’ouragan émotionnel que ce sont infligés les membres du groupe ces vingt dernières années, jusqu’à la réunion de cet été pour la première fois depuis le concert qui avait clos la tournée de The Wall, le 17 juin 1981 à Earl’s Court. C’est Robert Wyatt, qui, le premier, l’a ramené à la musique, d’abord en l’invitant à jouer au Royal Festival Hall à Londres en 2001. Finalement, il a décidé de se pencher sur les nombreux mini-discs plein d’idées qu’il entassait depuis quelques années pendant sa retraite domestique. Il a découvert qu’il avait environ 150 débuts de chanson. En mai 2004, il a appelé le guitariste de Roxy Music, Phil Manzanera. Avec lui, il a mis sur pied On An Island, un album très personnel pour l’une des rares rock-stars à ne pas se mettre en scène et en avant. Comme nous allons le constater…

Commençons par le songwriting du nouvel album. Votre femme, Polly, a écrit et co-écrit la plupart des paroles ….

David Gilmour : C’est la nouvelle association. Elle a écrit quelques paroles pour ‘Division Bell’. Elle est bien meilleure que moi pour exprimer les choses. Son but était d’écrire quelque chose qui soit pertinent pour moi… Alors que, hum… Je ne pense pas que c’était vraiment le cas de Roger. Donc les paroles me correspondent plus que ça aurait pu avec Roger.

L’illustration de la pochette pour la dernière chanson, Where We Start, vous montre, vous et Polly, marchant avec un coucher de Soleil en arrière-plan. Et celles des 2 premières, Castellorizon et On an Island sont la réflexion sur le bon temps passé avec vos amis qui sont morts depuis, en l’occurrence le chef d’orchestre Michael Kamen et Tony Howard (qui a bossé pour le management de Pink Floyd durant 30 ans)

David Gilmour : Ouais, Tony étais plus vieux que moi et Michael avait la cinquantaine… Ca a été une hécatombe ces dix dernières années pour moi. Ma soeur est morte, ma mère pareil. Beaucoup de mes amis et de membres de ma famille sont passés de l’autre côté. Ca nous a bouleversés, Polly et moi. Une des chansons, The Blue dont les paroles sont de Polly, porte sur l’expression “Tu est né poussière et tu retourneras en poussière”. Seulement ce n’est pas la poussière qui est décrite, mais la mer : ça se confond avec la mer. On y arrivera tous un jour, certains d’entre nous plus rapidement que d’autres . C’est une conclusion aussi possible que… Je n’ai vraiment pas hâte d’y être.

OK. Mais êtes-vous croyant ?

David Gilmour : Non, athée. Je n’ai jamais eu de religion. J’aurais préféré en avoir une. Même quand j’étais gamin, je n’arrivais pas à me forcer à croire en quelque chose. La mortalité a toujours été dans mon esprit depuis l’âge de 13 ans.

Ca fait jeune pour penser à la mort. Qu’est ce qui s’est passé ?

David Gilmour : Il n’y a pas eu d’évènement en particulier, mais c’est devenu une terreur obsédante. J’ai réalisé soudain tout ce que ça signifiait. Il fallait que je m’habitue à l’idée de ma propre fin. C’était très terrorisant… Aussi étrange que ça puisse paraître, en vieillissant, alors que je l’avais toujours en tête, cette idée a fini par ne plus être une peur. Il y a une fin à toute chose, du moins faut-il s’y résigner.

Syd Barrett était un copain d’enfance. Quand vous êtes-vous rencontrés ?

David Gilmour : Quand j’avais quatorze ou quinze ans. Il était le genre de mec que tu repères quand tu le croises dans la rue. Il était charismatique et magnétique. Il était drôle et éclairé. Rien n’avait de prise sur lui. Il était toujours au courant de tout, très cultivé. Je le suivais partout, j’étais toujours dans ses pattes. Une fois que j’ai intégré la Cambridge Tech, on aimait ben se retrouver à l’école d’art à la pause du midi et on jouait du Bo Diddley et “Come On By” des Rolling Stones.

Le co-manager de Pink Floyd, Peter Jenner a dit : “Je pense que tout a commencé à dégénérer quand le père de Syd est décédé. Je pense que Syd n’a plus jamais été heureux par la suite. Il était nostalgique de son enfance.” Connaissiez-vous Syd à l’époque où son père est décédé, en 1961 ?

David Gilmour : Je le connaissais, mais je ne me rendais pas trop compte de ce qui se passait. J’étais à fond dans mes études, à essayer de sauver les meubles. Je ne sais pas pourquoi, je n’en ai jamais vraiment pris conscience… Il n’y avait rien qui laissait à penser… que ça allait arriver… sa descente… dans son enfer personnel.

Avant que ça n’arrive, vous avez quand même bien profité et fait les quatre-cents coups durant votre adolescence.

David Gilmour : Oh oui, durant l’été 65 je crois, quand mes parents étaient en Amérique encore, j’ai fait du stop pour rejoindre le sud de la France. Syd est venu en Land Rover avec un pote et je les ai rejoints à un camping près de Saint-Tropez. Bacon et œoeufs à Saint-Tropez : le pied ! On a fait la manche en ville et on s’est fait arrêter. On a passé de bons moments. La disparition de son père n’avait pas l’air d’affecter tout ça. Mais nous étions assez doués pour dissimuler ce genre de choses.

De retour à Cambridge, étiez-vous comme un poisson dans l’eau avec les Jokers Wild ?

David Gilmour : C’était cool, mais je me suis progressivement ennuyé. Les soirs où je n’avais rien à faire, je faisais du stop pour aller à Londres, au Marquee, pour voir Georgie Fame and the Blue Flames, The Who. Puis en 1966, j’ai déménagé. Un gars voulait me manager et m’a trouvé un concert à Marabella, donc j’y suis allé avec deux autres gars de Jokers Wild. On s’est appelés les Bullitt, puis Flowers, parce que le manager pensait que c’était à la mode. Puis on a fait une résidence à Paris, dans un night-club, le Bilboquet. On en a bavé, pour vivre cette existence de nomade en France, à gagner 50 francs par soir seulement. A Paris, nous logions dans des hôtels pas chers, sur la rive gauche. Nous devions souvent passer toute la nuit dans les bars, à boire une bière parce qu’on avait nulle part où aller et rien à dépenser. On a passé un an en France comme ça.

Cela veut-il dire que vous avez manqué les évènements underground qu’il y avait autour de Pink Floyd, les vendredis soirs à l’UFO et les dimanches après-midi au Spontaneous Underground ?

David Gilmour : Oui, j’étais loin de tout ça. Mais quand je suis revenu pour m’acheter des micros en mai 1967, j’ai appelé Syd et il a dit : “On se fait une session, ramène-toi”. C’était à Sound Techniques, à Chelsea, ils enregistraient See Emily Play.

Comment c’était ?

David Gilmour : Syd était vraiment bizarre. Il avait le regard vitreux et avait l’air de ne pas me reconnaître. Pas très amical.

Vous doutiez-vous de ce qui se passait ?

David Gilmour : Non. Je veux dire, je savais pour le LSD, j’en avais pris moi-même, mais je ne me doutais pas du tout que ça pût provoquer ça. D’autant que je ne savais pas s’il venait de prendre quelque chose et si c’était temporaire.

Comment s’était passé votre première expérience avec le LSD ?

David Gilmour : En 1964, à Cambridge, il y avait quelques personnes qui expérimentaient ça dans le but plein d’espoir d’ouvrir leur conscience. C’était une expérience scientifique quasi-religieuse.

Quasi-religieuse ? En tant qu’athée, ça ne colle pas trop avec vos conceptions.

David Gilmour : Je ne me suis pas soudain mis à croire en Dieu. Mais encore aujourd’hui, je considère que c’était une expérience très profonde. Je n’en ai jamais vraiment parlé, parce que je déteste que ça puisse encourager d’autres gens à essayer, parce qu’il est évident qu’il y a des gens plus sensibles à ça que d’autres.

Et vous l’avez vu ? (NDBB : Barrett ?)

David Gilmour : Oui, je l’ai vu.

Vous ne le saviez pas à ce moment-là, mais vous étiez sur le point de rejoindre Pink Floyd.

David Gilmour : J’avais entendu The Piper at the Gates of Dawn à Paris cet été-là. Ca sonnait terrible et j’en étais malade de jalousie (il rit de bon coeur). J’étais malade à ce moment-là. A cause de la malnutrition. On avait des concerts que le week-end et on devait payer le loyer, ce qui ne laissait que quelques billets pour se payer à manger une journée. Après, nous devions repartir. Il y avait des moments où l’on n’avait vraiment plus un rond. L’entêtement et l’opiniâtreté peuvent être autant des qualités que des défauts. J’ai erré trop longtemps en France. Mais en septembre 1967, j’en ai eu assez, j’ai voulu rentrer à la maison. Donc on est allé chez des gens qui nous devaient de l’argent et on les a menacés.

Etiez-vous l’un des instigateurs de ces menaces ?

David Gilmour : Oui(fermement). On est allé dans un immeuble à Paris et on a menacé le gars de le frapper. Je me rappelle avoir ressenti un immense sentiment d’injustice et de frustration. Il a fait ses excuses. On a pris quelques trucs qu’on pensait pouvoir revendre. On se dirigeait vers Calais, mais on n’avait pas assez d’argent pour l’essence. On s’est arrêté à un moment et on a siphonné de l’essence d’une citerne pour notre van Ford Thames. Willie Nelson, notre batteur, disait qu’avec ce mélange de diesel et d’essence, on pouvait faire tenir le van (NDBB : !!!). On est arrivé à Calais vers trois heures du matin, on a attendu sur le parking sans couper le moteur et on a embarqué la voiture sur le premier ferry en partance pour la Grande-Bretagne. Les gars du ferry nous ont demandé de couper le moteur ce qu’on a fait. Et forcément, arrivés à Douvres, on ne pouvait plus redémarrer, et il a fallu pousser le van pour le sortir du ferry. J’avais un peu le moral dans les chaussettes à ce moment-là.

Quand vous êtes revenus à Londres après votre séjour en France, êtes-vous allés à des concerts de Pink Floyd ?

David Gilmour : Oui, mais à la fin de 1967, leurs concerts étaient devenus affreusement mauvais. Syd n’était plus que l’ombre de lui même. Puis je les ai vus au Royal College of Art en décembre, Nick est venu et a demandé : “ Qu’est ce que tu dirais si je te disais qu’on pense à te prendre dans le groupe ? ” J’ai répondu que je dirais oui.

Comment vous ont-ils considéré, en tant que petit nouveau ?

David Gilmour : Bien. Même si j’ai quitté le groupe après seulement quelques jours. Probablement à cause du côté enjôleur et aimable de Roger. Je suppose. Je ne sais plus a que point il a fallu que je supplie qu’on me reprenne (rires).

J’ai retrouvé un commentaire que vous avez fait à propos de vos premières sessions studio avec Pink Floyd : “Nick et Roger m’ont décrit “Saucerful Of Secrets” comme un diagramme architectural aux formes dynamiques plus qu’une forme musicale, avec des pics et des creux. Ce n’était pas de la musique pour la beauté, ni pour l’émotion. “

David Gilmour : Oui , je ne comprenais pas vraiment , mais j’étais heureux d’y participer et de voir ce qui se passait. Ils l’expliquaient en termes “d’humeurs” et de “pouvoirs”. Argh, j’ai horreur de ne pas comprendre (sourire).

Je suppose que vous n’aviez jamais rien expérimenté de tel jusqu’alors à la guitare.

David Gilmour : Oui, ce n’est pas du jeu de guitare normal. Il s’agissait de faire des bruits. Essayer d’organiser le bruit en une expérience musicale émotionnelle est une chose difficile à atteindre. Je trouve ” A Saucerful Of Secrets ” fantastique à ce titre.

Comment ça se passait avec Syd et vous, tous les deux dans le groupe au départ ?

David Gilmour : C’est étrange, mais je ne crois pas qu’il soit venu une seule fois durant les sessions studio, alors que moi j’étais impliqué. Je ne me rappelle même pas avoir été sur scène avec lui. On n’a dû faire que quatre ou cinq concerts ensemble.

Une nouvelle fois, je cite ce que vous avez dit à propos de vos débuts au sein de Pink Floyd : que vous pensiez que vous étiez capable de “leur redessiner le portrait à coups de poings”.

David Gilmour : Ca sonne comme de l’arrogance juvénile.

La légende du départ de Syd est-elle exacte ? Un jour, vous avez décidé de ne pas aller le chercher pour le concert comme vous le faisiez habituellement ?

David Gilmour : On roulait sur Ladbroke Grove et quelqu’un a dit : “Est-ce qu’on va chercher Syd ?” Et quelqu’un d’autre, probablement Roger, a dit : “Non , on n’y va pas.” On a donc continué à rouler jusqu’à Southampton.

Comment l’avez-vous vécu, personnellement ?

David Gilmour : Il n’était plus capable de rien, même plus de se rendre compte de ce qui se passait. Et puis quand tu es jeune et ambitieux, tu te montres cruel et tu continues ta route.

C’est votre interprétation des choses, que vous avez été cruels ?

David Gilmour : Oui, je pense qu’on l’était tous. Ce qui primait, c’était notre désir de s’en sortir, sans autre considération. De toute évidence, nous nous sommes sentis coupables par la suite. C’est en grande partie pour cette raison que Roger et moi avons bossé sur la production de l’album solo de Syd (Madcap’s Laughs sorti en janvier 1970, NDJ), puis Rick et moi, on a bossé sur le suivant (Barrett en novembre 1970, NDJ). On avait clairement le sentiment de lui devoir quelque chose.

Comment s’est passé le travail sur ces deux albums ?

David Gilmour : Très difficile. Roger et moi avons tenu à sauver The Madcap Laughs alors qu’il avait largement dépassé le budget qu’EMI l’avait mis sur la sellette. Ils nous ont donné trois jours à Abbey Road. On a fait s’asseoir Syd, on lui a mis une guitare entre les mains et on l’a encouragé à jouer et chanter. Mais il tombait de la chaise, il s’écroulait sur les micros… On a tiré ce qu’on a pu.

Pensiez-vous être capable de le sauver ?

David Gilmour : Je crois qu’on essayait de sauver un semblant de carrière plus que de le sauver, lui. Peut-être qu’on aurait dû concentrer notre énergie à essayer de le faire consulter un spécialiste de la schizophrénie. Syd n’avait pas besoin d’être entouré par les tentations d’un groupe pop, il avait besoin d’aide.

Comment Syd vous traitait-il ? Est-ce qu’il vous en faisait baver ?

David Gilmour : Non, mais c’était très dur de communiquer avec lui. Il ne faisait pas attention à ce qui se disait autour de lui et disait rarement s’il se sentait bien ou mal. Cependant je me rappelle parfaitement une fois où je l’ai ramené chez lui en voiture jusqu’à son appart à Earl’s Court Square, je l’ai accompagné jusqu’à la porte. Il s’est tourné vers moi et a dit (tout bas) : “merci”. C’ était le seul moment… Donc je suppose qu’il n’était pas mécontent de tout ça.

A cette époque-là, vous étiez dans Pink Floyd depuis deux ans. S’est-il produit un déclic en tant que guitariste du groupe ?

David Gilmour : Pas un déclic, ça a été graduel. Sur A Saucerful Of Secrets, j’essayais encore de sonner comme Syd et Hendrix aussi. Parce qu’à Paris, vu que je parlais un peu français, son management m’a engagé pour accompagner Jimi une soirée pour qu’il ne soit pas trop perdu dans Paris. Je l’ai trouvé fantastique. A cette époque, ces influences étaient tellement fortes, qu’elles m’empêchaient d’avoir mon propre style. J’ai commencé vraiment à créer ma propre personnalité musicale sur More (1969), Fat Old Sun (Album Atom Heart Mother, 1970 NDJ), certainement sur Echoes (Album Meddle, 1971, NDJ), où là j’ai vraiment donné de moi-même.

Comment s’est passé votre premier engagement au niveau du songwriting sur UmmaGumma (1969) ?

David Gilmour : On pédalait dans le vide. Je crois qu’on ne savait plus trop ce qu’on fasait parce que nous étions perdus. Donc on a enregistré un album live, puis quelqu’un, probablement Roger, a suggéré qu’on fasse un morceau solo de dix minutes chacun de son côté. Et on en a fait un double album. J’étais alarmé. Mon Dieu, non ! J’ai appelé Roger pour lui demander, le supplier de m’écrire des paroles et il m’a juste dit (aboyant) : “Non, fais-le toi-même !”, et il a raccroché (rires), ce qui était sa façon à lui de me mettre le pied à l’étrier.

Du point de vue de votre développement artistique en tant que compositeur, vous avez dit dans une interview à Mojo, que vous n’étiez pas au meilleur sur The Dark Side Of The Moon (1973). Vous n’êtes co-crédité que sur quatre chansons .

David Gilmour : J’ai fait quelques bons trucs sur Meddle, mais je n’ai pas contribué au songwriting de The Dark Side Of The Moon autant que j’aurais voulu. Quand je feuillette les crédits, je m’en rends compte (rires). Mais je ne me plains pas du boulot que j’ai fait en studio.

Penchons-nous sur une chanson aux paroles très personnelles, même si c’est Roger qui l’a écrite : Shine On You Crazy Diamond de Wish You Were Here (1975).

David Gilmour : Le cadeau de Roger à Syd. J’ai toujours aimé cette chanson.

Pensez-vous à votre ami, Syd, quand vous la jouez ?

David Gilmour : (il s’agite) Absolument. Tu ne peux pas chanter : “Maintenant il y a quelque chose dans tes yeux, comme des trous noirs dans le ciel” sans penser à Syd. Ou : “Va étranger, toi légende, toi martyr, et brille.” … “Tu a cessé d’être le bienvenu avec une prétention aléatoire” … “Fou délirant et visionnaire”, “Allez toi le peintre, le joueur de flûte, le prisonnier”… Toutes ces images définissent précisément ce qu’était Syd. C’est important quand tu chantes les paroles de quelqu’un d’autre de respecter l’intention de l’auteur et le sujet de la chanson .

La vieille histoire de Syd arrivant en studio à la fin de l’enregistrement de cette chanson qui lui est dédiée semble trop parfaite.

David Gilmour : La chose dont je suis sûr, c’est qu’on était en train de faire cet album à Abbey Road et Syd est venu faire un tour, pour le reste, je ne suis pas sûr de mes souvenirs. Je ne sais pas quelle chanson on était en train d’enregistrer. Je ne me rappelle pas qu’il ait dit, d’après ce que rapporte la rumeur : “Vous l’avez déjà jouée, pourquoi vous la refaites ?” ou “Est-ce que je dois faire mon solo maintenant ?”. En tout cas, ce n’était pas le jour de mon premier mariage comme on a pu le dire, puisque Syd n’y était pas. C’était plus tard, en juillet. Je me rappelle qu’il était là, qu’il m’a fallu un bon moment pour comprendre qui était ce gars obèse et chauve qui se déplaçait lentement et qui ne ressemblait plus du tout au Syd mince avec les cheveux bouclés que je connaissais. On a parlé, je ne me rappelle plus ce qu’on s’est dit.

Après The Dark Side Of The Moon, plus rien n’était évident. Passer du culte à l’icône de façon soudaine… Comment s’est traduite votre relation avec les fans à ce moment-là ?

David Gilmour : Nous n’avions aucune considération pour ce que les fans pensaient ou aimaient. Nous étions complètement “insularisés”. Se faire plaisir est la seule voie, artistiquement, pour avancer. Sinon tu te prends au piège à essayer d’être populaire.

Vous en avez discuté ? C’était une politique de groupe ?

David Gilmour : Tout à fait. Faire de que tu penses, c’est avoir raison. Ne prêter aucune attention au point de vue des autres. Ce qui est difficile quand tu es dans un groupe.

Ah… Entre vous, vous voulez dire ?

David Gilmour : Oui, ce genre d’éthique pose des problèmes dans un groupe, ça nécessite des compromis. Et il y avait pas mal de problèmes tu sais, des problèmes constants. Mais on les surmontait.

En parlant de ça, comment réagissez-vous quand vous voyez cette photo de 1975 (on lui présente une photo de la pochette intérieure de Wish You Were Here où Waters a son bras autour de Gilmour, tous les deux rient aux éclats à propos de quelque chose oublié depuis longtemps).

David Gilmour : Photo sympa. Ca devait être un bon moment, non ? C’est facile de penser qu’avec toute la bile et toutes les absurdités qui se sont succédées pendant vingt ans, il n’y a jamais eu d’amitié entre nous ou de moment de joie. On a passé souvent de très bons moments ensemble. Nous tous. On vivait et on respirait Pink Floyd et nous étions… potes… d’une certaine façon.

Votre premier album solo était-il une façon de s’éloigner des tensions qui régnaient au sein de Pink Floyd ?

David Gilmour : Non. C’était plutôt une réaction contre notre lenteur à enregistrer nos albums, à chaque fois plus d’un an, pour chaque album. Roger devait être de son côté en train de composer The Wall, après toutes les difficultés qu’il a rencontrées à jouer dans les stades, ce qui nous a tous affectés à des degrés différents. Aucun de nous n’était satisfait du changement de public qu’on subissait. Mais certains d’entre nous étaient résignés.

De quels changements parlez-vous ?

David Gilmour : Quand ou jouait dans des endroits plus modestes, je veux dire même des concerts dans des arènes américaines de 10 000 à 12 000 personnes, le public pouvait être complètement silencieux. Si on avait fait tomber une aiguille sur scène, on aurait pu l’entendre dans les haut-parleurs (rires). Mais après The Dark Side Of The Moon, nous avons commencé à jouer dans des stades, et les raisons du public d’être là ont semblé changer. Beaucoup d’entre eux n’étaient pas des fans fervents, qui connaissaient bien le groupe, ils cherchaient simplement à participer à l’expérience. Ils le faisaient savoir. Ils voulaient des tubes sur lesquels danser. C’est le genre de choses qui nous faisaient sortir de nos gonds.

L’ambiance durant The Wall était très lourde, mais vous décriviez The Final Cut comme la pire période de votre vie.

David Gilmour : Pour ce qui est de Pink Foyd, oui.

Parce que vous étiez à couteaux tirés avec Roger Waters à ce moment là.

David Gilmour : Oui.

Comment avez-vous réussi à gérer tout ça ? Parce que votre mariage battait de l’aile également. Avez-vous craqué ?

David Gilmour : Difficile à dire ce qu’est “craquer ”… J’ai rarement été aussi près de craquer, de ma vie en tout cas.

Une bonne partie de votre deuxième album solo, About Face, (1984), reflète ces tourments.

David Gilmour : Quand je l’ai enregistré, il ne semblait pas que Pink Floyd allait continuer comme ça longtemps. Notre relation avec Roger venait de prendre fin. C’était maintenant de l’histoire ancienne. On avait eu un grand nombre de disputes où il me disait : “Je vais me barrer” et moi je répondais : “Pas de problème, on continuera sans toi”. Il a alors dit que si on enregistrait sans lui, il viendrait, s’assiérait au fond du studio et qu’il nous foudroierait du regard. Des déclarations étranges comme ça (il glousse).

A ce moment-là, pensiez-vous mener une carrière solo plutôt que de continuer avec Pink Floyd ?

David Gilmour : Non, j’ai toujours été très clair avec eux, Roger y compris, en disant que j’avais l’intention de continuer. Roger a dit : “Tu n’arriveras pas à garder le groupe uni. ” Pas le genre de trucs qu’il faut me dire. Ca a plutôt tendance à me motiver.

N’avez-vous jamais pensé que vous pouviez échouer et donner raison à Roger ?

David Gilmour : Non, jamais.

Mais vous avez toujours admis facilement que vous aviez des difficultés à écrire des paroles. Là, vous vous retrouviez sans Roger dans Pink Floyd pour la première fos. Je me demande quels problèmes vous aviez avec les paroles. A cette époque, vous deviez avoir beaucoup d’émotions en vous avec le groupe et votre mariage. Qu’est-ce qui vous retenait ? Les idées ? L’imagination pour des histoires ? Ou une répulsion à se révéler soi-même ?

David Gilmour : Ca pourrait facilement être ça, j’ai du mal à me révéler, comme tu as pu t’en rendre compte. Je pense que j’ai un petit don pour la musique et… je devrais me satisfaire de ça. Mais je ne veux pas admettre que je suis une merde au niveau des paroles.

Au sujet de Nick et Rick : vous vous êtes montré sans pitié avec eux après le départ de Roger, non ? N’ont-ils pas été largement exclus de A Momentary Lapse Of Reason parce que vous pensiez que leurs jeux ne convenaient plus ?

David Gilmour : Je n’ai pas été cruel. Je ne le pense pas du moins. Nick était là et a été impliqué sur tout l’album. Rick ne l’était pas. Il s’est très peu impliqué. Avec Nick, on a essayé pas mal de choses, mais il est vite apparu qu’il y avait des choses qu’il n’était pas capable de jouer. C’était un problème psychologique. Moi, ce que je crois, c’est qu’il a été… intimidé par Roger, au point de ne plus réussir à faire ce qu’il savait : être batteur.

En avez-vous parlé à Nick ?

David Gilmour : Pas des masses quand on était en studio. Mais en tournée, je les encourageais souvent tous les deux, de façon délibérée et appuyée, en essayant de les mettre à l’aise, et leur confiance et leur habileté sont rapidement revenues. Ils étaient fin prêt pour Division Bell (1994).

En 2005, comment est née l’idée du come-back de votre côté ?

David Gilmour : Geldof a appelé et a demandé si je me sentais de faire le Live 8 avec Pink Floyd. Il n’a pas mentionné Roger, il a juste dit (il l’imite) : “Tu rassemblerais Pink Floyd pour faire ce fucking Live 8 ?” J’ai dit : “Non, je suis en plein milieu de mon album”. Sur quoi, il me répond : “Je descends et je viens te rendre visite”. Il a sauté dans un train. J’ai pensé : “non, non, non…” Quand je l’ai appelé sur son mobile, il était à East Croydon. J’ai dit : “Bob, il n’est est pas question, descends du train”. Il a dit : “Je m’en fous, j’arrive”. Il est arrivé et m’a expliqué tout le truc en détail, ce qui m’a fait sentir un peu coupable parce que ça aurait été faire preuve d’égoïsme. Je lui ai dit : “Mais, tu as plein de groupes géniaux, tu n’as pas besoin de nous”. Mais il voulait qu’on soit de la partie. Il a réussi à convaincre Nick d’avoir Roger et à convaincre Roger de m’appeler. Je bossais ici, mon portable a sonné et j’ai entendu : “Salut, c’est Roger, comment ça va ?” C’était surprenant.

Quand lui aviez-vous parlé la dernière fois ?

David Gilmour : On avait eu une conversation téléphonique depuis la rencontre à Astoria en 1987. C’était il y a deux ans, il y avait eu une dispute concernant le making-off de The Dark Side Of The Moon. Cette fois-ci, c’était une conversation plaisante et je lui ait dit que je le rappellerais le lendemain. J’ai réalisé que je le regretterais toute ma vie si je ne le faisais pas… Je veux dire, le concert, mais aussi pour surpasser tous les heurts que l’on a pu avoir tous les deux, pour la bonne cause.

Avez-vous senti dans l’attitude de Roger une envie de faire fi du passé ?

David Gilmour : Roger a dit dans certaines interviews qu’il était resté trop longtemps borné sur certains sujets et… je pense qu’il a raison (il arbore un sourire espiègle).

Vous voulez dire que vous êtes d’accord sur le fait que tout était de sa faute ?

David Gilmour : Oui (rires).

Et vous, ne vous êtes-vous pas borné un peu trop longtemps aussi ?

David Gilmour : Humm, je, disons… J’ai invité Roger à jouer sur The Dark Side Of The Moon avec nous à Earls Court en 1994, je l’ai invité pour mon cinquantième anniversaire en 1996. Ce sont de petites invitations, pas forcément une grande main tendue au nom de l’amitié, mais… Eh oui, je me suis senti attaqué de façon malhonnête et injuste dans les années quatre-vingt.

Comment avez-vous géré ça quand est venue l’heure de vous réunir ?

David Gilmour : On n’en a pas discuté, on a juste fait avec. On dit que le temps apaise les blessures, et je crois que c’est vrai… dans une certaine mesure.

Donc comment ça s’est passé, le choix des chansons, les répètes, le show en lui-même ?

David Gilmour : On s’est réunis, puis, on a discuté par téléphone des chansons à jouer. On s’est tout de suite engueulés. J’ai insisté de mon côté et Roger est revenu sur ce qu’il pensait, en se mettant de mon côté. La même chose s’est produite durant les répètes. Je voulais qu’on se la fasse compacte, juste nous quatre sans trop d’aide extérieure. Roger voyait les choses plus en grand. Finalement, il a changé d’avis. On a passé de bons moments en studio. Il y a aussi eu des moments de tension. On a commencé à la sentir vers la fin. Puis on a fait un filage à Hyde Park et là, c’était vraiment fantastique. Le soir du concert, c’était carrément bon. Je suis content qu’on ait évacué toute la merde.

Cela signifie-t-il que le chapitre est clos ?

David Gilmour : Ca me va assez cette idée de conclusion . Ca m’a aussi convaincu que de refaire un pas en arrière avec Pink Floyd, refaire une tournée de dinosaures, ce qu’on nous a proposé, ne m’attire pas du tout. Ca ne me rendrait pas plus heureux que je le suis. La pensée de faire un nouvel album avec le line-up d’origine… Je… Je ne pourrais pas le faire.

Donc pas de nouvelle tournée de Pink Floyd...

David Gilmour : Pas de tournée, ni de nouvel album, non.

Avec Roger, vous vous parlez encore ?

David Gilmour : Hum, on ne peut pas dire qu’on ne se parle plus. Du moins de mon point de vue. Mais pour l’instant, on ne se parle pas non plus.



Phil Sutcliffe/Mojo/Planet dication
Trad.:Romuald Olivier



Auteur de la page : FlamingUFO (transcription et scans).

Correcteur de la page et NDBB : Blue Berry (Syntaxe, orthographe, faux-sens éventuels…)

presse/david-gilmour-full-of-secrets.txt · Dernière modification : 27/06/2011 à 13:37 de 127.0.0.1

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