The Dream Is Over
Scan et transcription et traduction de l’article The Dream Is Over de Mark Blake, paru dans le MOJO de décembre 2008. Les scans du magazine ont été mis à disposition sur le site officiel de David Gilmour et contiennent un article supplémentaire, paru dans le même numéro mais non traduit ici.
Le rêve est fini
Les incessantes rumeurs de reformation de Pink Floyd ont pris fin avec la tragique disparition de leur claviériste Rick Wright. « Il y a peu de chances que je fourbisse mes baguettes dans un avenir proche », déclare Nick Mason en ouverture de l’hommage de huit pages rendu par MOJO au « discret » de Pink Floyd.
Le film de 1972 Live at Pompeii marque la dernière apparition de Pink Floyd avant que The Dark Side of the Moon ne change leur monde à jamais. À la sortie de l’amphithéâtre en ruines, le réalisateur Adrian Maben tente d’interviewer le groupe. Trop occupés à s’enfiler bières et crustacés, les Pink Floyd ne sont pas d’humeur à converser sérieusement. Roger Waters et David Gilmour bottent en touche à chaque question, badinant dans le style pédant du E. L. Wisty créé par Peter Cook. « Ces huîtres sont-elles françaises ? émet Waters. J’aime à penser que les huîtres transcendent les frontières nationales. »
Maben persiste jusqu’à ce que Nick Mason intervienne : « Adrian, prévient-il, ces tentatives d’extirper une conversation à ces types sont vouées à l’échec. » Seul un membre de Pink Floyd tente d’échanger avec le réalisateur. « Je ne comprends pas ce que tu veux dire par là », dit poliment Rick Wright lorsqu’il lui demande si le groupe connaît des moments difficiles. « Dans ce cas, t’es foutrement bouché » raille Waters en rigolant. Plus tard, Wright offre un regard torve à la caméra et dit en hésitant : « Nous nous comprenons et nous nous tolérons beaucoup les uns les autres. Mais de nombreuses choses restent non-dites. Je crois. Parfois. »
Comme l’a souligné chaque nécrologie parue après sa mort, le 15 septembre, Richard William Wright était « le discret » au sein de Pink Floyd. The Times va encore plus loin : « s’il s’était fait plus discret encore, il aurait été porté disparu ». L’image du Wright abusé du Live at Pompeii devait malheureusement rester. Ces dernières années, rares furent les interviews à ne pas mentionner ses relations médiocres avec Waters, son exclusion de Pink Floyd en 1979 et son caractère plutôt triste.
Wright était, avec Nick Mason, l’autre Londonien de la forteresse cambridgienne qu’était le Floyd original. Il grandit en banlieue, apprit à jouer de la guitare, du piano, de la trompette et du trombone. En 1962, il entra à Regent Street Polytechnic pour étudier l’architecture et y rencontra Nick Mason et Roger Waters. Wright rejoignit leur groupe de musique aux divers noms (parmi lesquels Sigma 6, The Abdabs et The Megadeaths), lequel comprenait de temps à autres sa future épouse Juliette Gale. Clive Metcalfe, le guitariste du groupe à l’époque, garde un souvenir révélateur de « l’adorable Juliette… mais Rick était timide à un tel point que c’est tout juste s’il osait parler ».
Réalisant que l’architecture ne l’intéressait guère, Wright quitta Regent Street et entra au Royal College of Music de Londres. Ce geste se révéla payant lorsqu’il put vendre une de ses chansons, You’re the Reason Why, à un trio de chanteurs de Liverpool, Adam, Mike & Tim. « Rick avait écrit une vraie chanson pop et l’avait vendue, dit Nick Mason. Il avait écrit un single alors que nous n’étions même pas encore opérationnels. »
Lors de l’enregistrement du premier album de Pink Floyd, The Piper at the Gates of Dawn (1967), les connaissances techniques de Wright se révélèrent une bénédiction. « Je me rappelle Rick organisant les harmonies et indiquant à chacun ce qu’il devait chanter, dit Peter Jenner, co-manager du Floyd, et je crois que tout le monde, y compris moi, le sous-estimait. C’est classique dans le management : il ne causait aucun problème, et on avait donc tendance à ne pas le remarquer. On avait toujours plus conscience de ceux qui nécessitaient un haut niveau de surveillance. »
« Rick aimait la mélodicité, mais il ne s’opposait pas aux autres choses que nous faisons, ajoute Mason. Écoutez le début d’Astronomy Domine ou Interstellar Overdrive. Il n’a jamais eu de préjugés sur l’usage des claviers. Même l’école de musique n’a pas pu lui retirer ça de la tête. » Expérimental, mais structuré dans son jeu, Wright était un collaborateur idéal pour le leader Syd Barrett. Par la suite, Wright a avoué avoir envisagé de quitter le groupe pour travailler avec Barrett, avant d’être témoin du rapide déclin du chanteur. Pour le second album du Floyd, A Saucerful of Secrets (1968), Wright composa See-Saw et Remember a Day, « des chansons mélancoliques, dans la droite lignée de Barrett », selon Mason. Pourtant, le groupe surnomma également See-Saw « la chanson la plus ennuyeuse jamais entendue, à deux près », tandis que Wright affirma par la suite « grincer des dents à l’écoute de Remember a Day ». Effacé et manquant de confiance, il n’avait aucun avenir en tant que leader du Floyd.
L’arrivée du chanteur-guitariste prodige David Gilmour, jointe à l’ambition croissante de Waters, repoussa encore Wright à l’arrière-plan. « J’aime la comparaison avec George Harrison, dit Mason, parce que comme George, Rick écrivait, il chantait, il faisait beaucoup de choses, mais il était dans l’ombre des autres. » « Nous devions continuer, déclare Waters pour expliquer son accession au rang de leader de facto du Floyd. Et comme personne d’autre n’avait l’air de vouloir du poste, je l’ai pris. »
Le claviériste fut une cible facile pour le caractère difficile de Waters. Un proche du Floyd se souvient de vacances, en 1966, durant lesquelles « Roger ne cessa de descendre Rick. De se servir de lui comme d’un punching-ball. »
Wright admettait avec morosité un « conflit de personnalités avec Roger […] et de constantes chicaneries » remontant à leurs études. « Je ne crois pas que Roger cherchait consciemment à rabaisser les autres, dit David Gilmour. Mais il est très dominateur, et il n’a pas toujours conscience à quel point cela peut blesser les gens. »
« Rick pouvait être très joyeux et très drôle, ajoute Mason, mais cela lui pesait d’être le plus discret. » Une plaisanterie récurrente voulait qu’il fût le plus près de ses sous des quatre membres du groupe. Non sans malice, Waters racontait aux journalistes comment Rick verrouillait son placard à l’époque où ils partageaient leur domicile, ou bien une longue dispute au Japon sur une note de restaurant, au terme de laquelle il s’avéra que Wright n’avait pas payé les crevettes consommées en sus par ses camarades.
« Nous ne sommes jamais devenus adultes, nous avons seulement pris de l’âge, admet Mason. Nous avions attribué ce personnage à Rick et nous l’avons maintenu. Et nous étions assez contents de nous, de ressasser la même plaisanterie pendant une quarantaine d’années. On ne s’en lasse jamais, surtout quand cela agace la personne concernée. »
Après la mort de Rick, Gilmour décrivit sa relation de travail avec lui comme « télépathique ». Echoes, le titre qui occupe la deuxième face de l’album Meddle (1971), marque l’apogée du travail des deux hommes ; les voix de Gilmour et Waters se complètent dans le chant des premiers couplets. C’est en expérimentant à Abbey Road que Wright conçut l’étrange son caractéristique (le désormais fameux ping) qui marque le début d’Echoes. « Il y a cette image, si vous voulez, de Rick assis devant ses claviers à travailler sur quelque chose pendant que nous nous affrontions autour de lui », dit Mason. L’ingénieur du son de Meddle, John Leckie, opine du chef : « Rick s’asseyait dans le fond et ne disait rien pendant des jours, mais son jeu marquait le meilleur moment de chaque session. »
La participation de Wright à The Dark Side of the Moon témoigne de sa puissance musicale. En 1973, à l’époque des magiciens du clavier comme Keith Emerson et Rick Wakeman, Wright préféra une approche plus subtile, orientée vers la texture et le son. « Je ne veux pas être le pianiste le plus rapide du monde, dit-il. Je préfèrerais être comme Miles Davis, qui peut jouer une seule note par mesure. » Il est donc approprié que Wright ait emprunté une séquence du Kind of Blue de Davis pour Breathe des Floyd. Son jeu était tout aussi mesuré sur The Great Gig in the Sky, composition pour piano et voix féminine. Bien qu’en 1990, Wright ait permis l’usage de la chanson dans une publicité télévisée pour des analgésiques, au grand dam de ses collègues.
À Abbey Road, Rick choisit de jouer les harmoniques aux influences jazzy de la chanson Us and Them sur un véritable piano, au lieu de l’orgue Hammond qu’il avait employé jusqu’alors. L’ingénieur du son Alan Parsons enregistra Wright qui jouait avec ce qu’il croyait être le reste du groupe dans un autre studio; alors qu’il s’agissait en fait d’un enregistrement réalisé plus tôt. Ce qui avait débuté comme une farce à ses dépens devint, comme l’explique Parsons, « l’une des meilleures choses jamais produites par Rick ».
Us and Them a été composée par Waters et Wright ; le premier a déclaré qu’il s’agissait d’une de ses chansons préférées de Pink Floyd. Même lorsque leurs désaccords atteignirent leur paroxysme, le bassiste loua toujours le travail de Wright.
Avec l’accroissement des gains du Floyd, Wright acquit une propriété de deux hectares, The Old Rectory, dans le village de Therfield, dans le Cambridgeshire. Un visiteur se souvient que les fêtes de Rick était « de la matière dont on bâtit les légendes ». Les invités se souviennent de « courses dans des Bugatti miniatures et des vélos […] et des travestis poussés dans la piscine. »
Durant sa tournée 1974, le Floyd refusa de donner des interviews, mais un journaliste de Melody Maker acheta son propre billet pour le concert au Usher Hall d’Édimbourg et parvint à obtenir un entretien avec Wright. Les autres membres du groupe se plaignirent, mais Wright leur dit qu’il « aurait eu des remords pour le gars ». Son portrait suggère un homme enfermé dans sa bulle : « Je n’écoute pas la radio, je ne regarde pas Top of the Pops, je ne regarde pas The Old Grey Whistle Test. Je ne sais même pas comment se porte le business du rock. »
Si, selon un roadie du Floyd, Rick était « un garçon charmant, mais souvent dans la lune », son travail sur le Wish You Were Here de 1975 est très important. L’album est encore vu comme une vitrine du jeu de Wright, avec le son de l’espace du VCS 3 sur Welcome to the Machine et Shine On You Crazy Diamond. Le jeu de Wright sur Animals était également impeccable. Mais son implication dans l’écriture a chuté : « Je n’allais pas bien à l’époque, l’inspiration ne venait plus. » Le LP solo de 1978 Wet Dream oscillait entre hymnes rêveurs à l’île de Rhodes, où Wright avait une résidence secondaire, et le délabrement de sa relation avec sa femme Juliette. L’album ne s’est pas vendu, prouvant que l’anonymat volontaire des membres du groupe n’avait pas que des avantages.
Les tensions croissantes entre Wright et Waters devinrent critiques pendant l’enregistrement de leur prochain album, The Wall. Quand on découvrit que les conseillers financiers du groupe avaient effectué des placements peu judicieux avec leur argent, le Floyd fut bon pour l’évasion fiscale. Les sessions de The Wall débutèrent en France, avec le producteur Bob Ezrin. Wright contribua peu et dit plus tard qu’il se « sentait pétrifié, incapable de jouer ». Et plus Waters faisait pression, plus Rick s’enfonçait. « Rick n’est pas quelqu’un qui joue bien sous la pression » explique Ezrin. « C’est un musicien intuitif, mais Roger ne pardonnait rien et chaque fois qu’il trouvait que quelqu’un ne donnait pas son maximum, il ne se gênait pas pour le dire. Parfois il pouvait même être blessant. » Même Gilmour fut obligé de l’admettre : « Rick s’asseyait là, et c’est tout… ça nous rendait malade. »
Sous la pression de Waters, Wright quitte le groupe, en acceptant de participer aux concerts de The Wall en tant que musicien salarié. « J’ai complétement échoué à défendre Rick. Au lieu de ça, je me suis rangé du côté de la raison. » déclara Mason. « C’est vraiment dommage et je me sentais coupable. » En exhumant ses vieux souvenirs, Wright admit « J’étais fou de penser que peut-être, si je jouais du mieux que je pouvais, Roger admettrait qu’il avait tord. » Waters ne l’a évidemment pas fait. Mais, en tant que musicien salarié, Wright a au moins gagné de l’argent avec la tournée alors que le reste du groupe ne fit que couvrir les couts exorbitants du spectacle.
L’histoire d’amour entre Wright et la Grèce débuta dans les années 60. A la fin de la décennie suivante, Gilmour et lui possédaient chacun une villas à Lindos 1). Durant les vacances d’été, les fêtes dépassaient le cercle de la famille avec l’arrivée de toute une tripotée d’amis et d’autres parasites… Beaucoup de tentations s’offraient à une rock star fortunée : soirées de pleine lune, alcool, drogues, et parfois ça va un peu trop loin. « Il y avait une quantité incroyable de cocaïne qui circulait », se souvient un témoin, « Et ça n’a pas vraiment aidé. » Écarté de Pink Floyd, avec un mariage qui prenait l’eau, Wright se repliait sur lui même. « Il a cessé de communiquer » déclara un associé. C’est comme s’il s’était fait avoir par les autres. » 2)
Il s’écoulera deux ans avant que Wright ne se remette à la musique, distrait par Lindos, son yacht et sa nouvelle petite amie Franka, un mannequin grec devenu designer. Alors que Waters et Gilmour faisaient leurs albums solo avec l’aide d’Eric Clapton et Pete Townshend, Wright fit équipe avec Dave « Dee » Harris, son ainé de plusieurs années et ex-chanteur de Fashion, un groupe d’electro-pop. Ils commencèrent à travailler dans le home studio de Wright dans le Cambridgeshire. Fan du Floyd, Harris voulait que Wright joue du Hammond « mais c’était un vrai cauchemar pour qu’il en joue ». Rick voulait un son électronique, quelques chose qui reflète son admiration pour les Talking Heads, Peter Gabriel et Eno. « On avait un Fairlight, le petit joujou du moment » s’amuse Harris, « mais tout ce que nous faisions sonnait robotique. »
Wright était au milieu d’un divorce et l’ambiance des sessions d’enregistrement connaissait des hauts et des bas. Harris se retrouvait souvent seul dans le studio, fussed over bv “a wonderful guy called Pink, who looked after Rick’s house. He was this fantastic Canadian queen who was forever on the phone to the wives of the other band members. I’d hear these stories and think, Christ, it’s exactly like being in a semi-pro band, but with millionaires — the bitching and wives calling each other this and that.”
Harris et Wright ont sorti l’album Identity sous le nom de Zee en 1984 mais il ne s’est pas vendu et Harris s’est renfloué dans la production. 3) « Ma carrière en était à un stade très différent de celle de Rick. C’est dommage car je l’aimais beaucoup. »
Waters ne faisant maintenant plus partie de Pink Floyd, Gilmour et Mason voulurent tout de même garder le nom du groupe. Une procédure judiciaire s’en suivit et un éventuel retour de Wright semblait logique. Gilmour se rappelle de la nouvelle femme de Rick, Franka, qui, à la demande de Rick, lui demanda s’il y avait de la place pour lui. Au cours d’un diner, Wright rencontra Gilmour et Steve O’Rourke, le manager du Floyd. Il fut minutieusement questionné puis autoriser à revenir (« Ils voulaient voir si j’étais OK »). Sur la pochette d’A Momentary Lapse of Reason, le nom de Rick est listé, parmi ceux des autres musiciens de studio. En tournée, comme Mason qui était accompagné d’un second percussionniste, Wright était épaulé par un claviériste supplémentaire : Jon Carin.
Gilmour s’est défendu d’avoir utilisé des musiciens supplémentaire en insistant sur le fait que Mason et Wright n’étaient réellement opérationnels qu’après le début de la tournée. Vers 1994, à l’époque de The Division Bell, Wright était pleinement réintégré. Son second mariage avait capoté mais il avait une nouvelle petite amie, le mannequin américain Millie Hobbs. Les fans et les critiques qui se demandaient ce qui avait bien pu arriver à Rick ont écouté attentivement Wearing the Inside Out. Les paroles évoquent un homme meurtri par la vie mais qui parvient finalement à se reconnecter avec le monde extérieur.
Après la tournée Division Bell, frustré par la lenteur avec laquelle Pink Floyd travaillait, Wright sortit un album solo aux sonorités fantomatiques 4), Broken China, en 1996. Le thème central traitait de toutes les étapes de la dépression vécue par une amie proche. Wright révelera plus tard que c’était sa nouvelle femme, Millie Wright. La perle de l’album est sa dernière piste, Breakthrough, magnifiquement interprétée par Sinéad O’Connor.
Broken China est sortit, mais même si Wright avait profondément souhaité refaire des albums avec Pink Floyd, ce ne fut pas le cas. La réunion du Floyd avec Roger Waters au live 8 en 2005 n’a pas donné suite à une quelconque collaboration à long terme. Wright était un choix évident pour jouer sur On an Island, le prochain album solo de David Gilmour. Même si, comme se souvient le guitariste, « il fallait se battre pour le faire venir au studio et jouer. » Pendant la tournée qui suivit, Wright redevint Wright en revisitant Echoes, Time et même The Great Gig In The Sky. Et presque à chaque fois il recevait une standing ovation, devenant de plus en plus sûr de lui avec l’avancement de la tournée. Il la décrivit comme « la tournée la plus amusante à laquelle j’ai participé. »
« Pendant les années 70 et le début des années 80, il était facile d’oublier le talent de rick, car lui-même l’oubliait. Il a connu des moments difficiles mais les a surmontés. Il est sorti de sa coquille. »
Fin 2007, on lui diagnostiqua un cancer, mais sa mort fut un choc pour tout son entourage. Nick Mason, le membre de Pink Floyd le plus favorable à une réunion, concède : « Je ne risque pas de polisher mes baguettes de batterie dans un avenir proche… » David Gilmour rendit hommage à Wright après sa mort à travers une représentation live de Remember A Day à la télévision. A propos du discret joueur de clavier du Floyd, il déclara : « Personne ne peut remplacer Richard Wright. »
— Mark Blake
Auteur de la page :
Wulfnoth (transcription, traduction, mise en page),
manu (traduction, mise en page).
Roger Keith (traduction)