Free Four
(Auteur : Roger Waters)
En 1972, la conception de la BO du second film de Barbet Schroeder, La Vallée, dont le sujet est la quête initiatique d’un paradis perdu, donne à Waters l’occasion de s’exprimer sur la vie et, surtout, la mort. En particulier, il évoque celle de son père, qu’il n’a pas connu.
Un gag ?
Cette BO sortira en album en juin 1972 sous le titre Obscured by Clouds (« Obscurci par les nuages »). À la différence de More, Waters, Gilmour et, dans une moindre mesure, Wright, s’impliquent plus personnellement dans leurs textes. D’ici deux ou trois ans, ils vont atteindre la trentaine et commencent à dresser un premier bilan de leur vie.
Littéralement, le titre Free Four se traduit par « Quatre libre(s) ». Quatre comme, justement, les membres de Pink Floyd. Libre comme ils le sont alors pour une bonne part. Quatre comme les points nécessaires pour déterminer un volume minimum dans l’espace, un tétraèdre . Quatre encore comme les éléments, l’Air, l’Eau, le Feu et la Terre, symbolique sur laquelle Storm Thorgerson basera la conception de la pochette de Wish You Were Here en 1975
Ce titre « Free Four » se présente surtout comme un gag, un jeu de mot que vient expliciter le lancement de la chanson, « One two three four… », à la manière d’un chef d’orchestre donnant la mesure à ses musiciens. Un tel lancement est courant en répétitions, il est moins courant qu’on l’enregistre. Les Beatles l’avaient déjà fait dans la reprise de Sergent Pepper’s… dans l’album éponyme. Ce jeu de mot, entre « free » (« libre ») et « three » (« trois »), laisse augurer une aimable chanson folk-pop sans message spécialement dérangeant.
La vie et la mort
C’est mal connaître Waters. Une rythmique syncopée soutient les lourds accords, passés à la moulinette du synthétiseur, d’une mélodie country-blues suffisamment simple pour qu’on soit tenté de la reprendre en chœur. Sur cette assise solide, Waters pose des vers d’où toute insouciance est bannie :
« Les souvenirs d’un vieillard sont ce qu’il a fait dans sa fleur de l’âge.
Tu te traînes dans le noir d’une triste pièce, et te parles à toi-même au moment de mourir.
La vie est un bref moment de chaleur, la mort est un long repos dans le froid »
Waters semble prolonger, sur le même mode grave, le propos de Gilmour dans sa Childhood's End qui précède juste Free Four sur l’album.
Mais Gilmour n’a pas perdu son père à la guerre, au contraire de Waters qui va plus loin en évoquant sans détour son orphelinat. Il le fait avec beaucoup moins de distance et d’esprit satirique que dans Corporal Clegg (album A Saucerful of Secrets, 1968) quatre ans auparavant :
« Tu est l’Ange de la Mort, et moi je suis le fils de l’homme mort.
Il a été enterré comme une taupe dans un terrier de renard, et tout le monde se défile encore »
Sous-entendu : tout ça pour rien.
Le fantôme d’Eric Fletcher Waters (qui ne l’a pas choisi, le malheureux) vient d’apparaitre dans l’œuvre de Pink Floyd avec toute sa dimension dramatique. C’est à lui que son fils Roger voudra rendre hommage et justice à travers le magistral The Wall (1979), et l’ennuyeux Final Cut (1983). Peut-être même, a-t-il une pensée pour ce père disparu, en plus de Barrett, lorsqu’il écrira, dans trois ans Wish You Were Here : « Je voudrais que tu sois là ».
Les paroles et leur traduction sont là.
Pink Floyd en état de grâce
Sur la vanité de la vie et l’absurdité de la mort, Waters, dans Free Four, et Gilmour, dans Childhood’s End, semblent, à cette époque-là, parfaitement en phase. Pink Floyd peut déjà s’enorgueillir d’un répertoire dont la richesse le dispute à la qualité avec des pièces comme Echoes qui se caractérisent par un équilibre parfait, et prépare, sans le savoir, l’œuvre qui va propulser le groupe au sommet de la renommée : The Dark Side of the Moon. Bref, le groupe, malgré les angoisses inhérentes à toute création, vit une sorte d’état de grâce. Il est en quelque sorte dans la fleur de l’âge qu’évoque Waters dans les premiers vers de sa chanson, et entre progressivement mais inexorablement dans l’ère des grandes interrogations.
Outre The Dark Side of the Moon, cela engendrera les trois autres grands albums conceptuels de la décennie 1970, Wish You Were Here (1975), Animals (1977) et The Wall (1979), qui coïncideront avec le succès planétaire difficilement gérable d’un groupe qui sera alors définitivement sorti de son adolescence.
Discographie
Free Four ne sera jamais jouée sur scène et ne se trouve que sur l’album Obscured by Clouds (1972) et la compilation Works (1983).
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Auteur de la page :
Blue Berry.