Echoes
(Auteurs : David Gilmour, Nick Mason, Roger Waters, Richard Wright)
Après avoir flirté avec un certain néoclassicisme baroque dans l’emphatique Atom Heart Mother en 1970, Pink Floyd éprouve le besoin de redonner une forme plus sobre et plus aérienne à sa musique. Le résultat sera, l’année suivante, Echoes, une pièce magistrale entre toutes.
Retour vers la simplicité
Sortis de l’enregistrement difficile de Atom Heart Mother, Gilmour, Wright, Mason et Waters éprouvent l’envie de revenir à des choses plus simples, et pendant quelques temps, expérimentent des sons tirés d’objets de la vie courante (rouleaux de scotch, élastiques…), un peu comme les pionniers du jazz, issus de milieux pauvres, se fabriquaient des contrebasses avec des baquets de lessive et des manches à balai. Mais devant la difficulté de tirer quelque chose de vraiment musical de tout cela, ils reviennent à leurs instruments et commencent à chercher de nouvelles pistes créatives.
D’une vingtaine d’idées mélodiques, ils vont tirer une longue suite, en partie instrumentale, en partie chantée, qu’ils nomment, d’une façon quelque peu surréaliste, The Return of the Son of Nothing (« Le retour du fils de rien »). La pièce, qui est à ce stade-là parfaitement constituée et structurée, à l’exception de quelques paroles pas encore définitives, est renommée The Son of Nothing ou encore, d’une façon plus simplement nihiliste, Nothing (« Rien »). Nous sommes au printemps 1971. Simultanément disparaît The Embryo du répertoire scénique de Pink Floyd.
Enfin, la réécriture du premier couplet fournira le mot-titre Echoes (« Échos ») de cette pièce qui sera officiellement publiée dans Meddle en novembre 1971, en occupant une face entière, soit près de 25 minutes.
Cependant, comme pour s’amuser à brouiller les pistes, il arrivera par la suite à Waters de présenter cette pièce sous le titre Looking Through the Knothole of Granny’s Wooden Leg (« En regardant dans le trou du nœud de la jambe de bois de Grand-maman »).
Une atmosphère irréelle
Echoes est construit selon la structure classique Intro – couplets 1 et 2 – instrumental en plusieurs mouvements – couplet 3 – final.
Autant Atom Heart Mother débutait de façon confuse, comme quelque chose qui s’extirpe péniblement d’une gangue de boue , autant Echoes s’ouvre de manière limpide. Une note de piano, une seule, semble venir du fond des abysses ou de l’espace, comme un sonar, puis une autre, et encore une autre, et le morceau se construit petit à petit, s’articulant autour de cette charpente à la fois si fragile et si forte.
L’effet Leslie, par lequel Wright fait passer les notes de son piano, donne à cette introduction un son unique qui rendra ce morceau identifiable dès cette fameuse première note, lors des concerts. Sur la trame de plus en plus dense que tisse Wright, viennent se poser les glissades de bottleneck de la guitare de Gilmour, renforcées par la basse discrète de Waters, et soutenues par la rythmique lente et toute en dentelles de Mason.
Cette introduction tient sur une grille d’accords très simple, son apparente complexité n’est due qu’à la grande créativité des musiciens, et à la qualité du son qu’ils construisent. Echoes fait partie de ces pièces où l’on ressent le plus le caractère sculptural ou architectural de la musique floydienne. C’est même presque un lieu commun si l’on rappelle que plusieurs membres du groupe se destinaient, justement, au métier d’architecte. Sans grande conviction il est vrai.
Sur le même rythme lent est exposé le premier couplet, composé, comme les deux autres, de trois strophes de quatre vers. Gilmour et Wright (à la tierce en voix de tête) chantent une mélodie simple, limpide, dont les deux premières strophes sont en mineur, la troisième en majeur. Un riff de basse et de guitare relie les deux couplets, repris après le deuxième. Echoes est une pièce à la frontière entre la nuit et le jour, entre le rêve et la réalité. Les deux premiers couplets, et plus généralement toute la première moitié, baignent dans une atmosphère irréelle, onirique : « Sous les vagues qui roulent, dans les labyrinthes de grottes coralliennes, un écho venu d’un temps lointain s’insinue dans le sable, et tout baigne dans un vert sous-marin ». À travers des vers tels que : « Des étrangers passent dans la rue ; par hasard, deux regards différents se croisent, et je suis toi, et ce que je vois, c’est moi », émerge un thème qui deviendra récurrent chez Pink Floyd, celui de la communication, et son corollaire inverse, l’incommunicabilité : « Vais-je te prendre par la main et te guider à travers le pays ? Et aide-moi à comprendre autant que je le peux ».
Impression de froideur, d’impassibilité : l’on pense à certaines œuvres de surréalistes tels que Yves Tanguy ou de Giorgio De Chirico, voire René Magritte ou encore Paul Delvaux, où les personnages, quand ils peuplent ces décors de déserts, de gares ou d’arcades antiques, semblent absents à eux-mêmes et s’ignorer les uns les autres. Cette adéquation entre la musique et un décor déserté par l’Homme est manifeste quand Pink Floyd interprète ce titre à Pompéi. La partie instrumentale proprement dite commence après que, sur le thème du couplet, se soit envolée la guitare d’un Gilmour désormais en pleine possession de son art.
Contraste des parties instrumentales
Une rythmique très carrée, quasiment funky, soutient le premier mouvement de cette partie instrumentale, qui en compte trois. La guitare hurle, hennit telle les montures des cavaliers de l’Apocalypse, ou les cris de quelque créature mystérieuse tapie dans les ténèbres.
Puis la rythmique s’apaise ou, plutôt, s’estompe progressivement, et un vent inquiétant se lève, que Waters « fabrique » en frottant un bottleneck sur les cordes de sa basse. La guitare imite les hurlements stridents d’oiseaux fantastiques, comme dans The Embryo, tandis que l’orgue gronde en coulisses.
À son tour, cette bourrasque cauchemardesque se calme et disparait tandis qu’une longue nappe d’orgue s’élève progressivement, rassurante comme les premières lueurs de l’aube. L’on est pas très loin de l’ambiance du final de la Nuit sur le Mont Chauve de Moussorgski. Le son gagne en ampleur, la mélodie, en mineur, est très simple, et cette simplicité est accueillie comme un réconfort par l’auditeur. De loin en loin, la note initiale unique de piano ponctue les accords qui s’étirent, soutenus à présent par la basse, la guitare rythmique et les cymbales. Enfin, c’est une guitare solaire et flamboyante qui éclaire la fin de ce passage juste avant le troisième couplet.
Réveil
Celui-ci évoque clairement un éveil : « Chaque jour, sans nuage, tu tombes sur mes yeux qui s’éveillent. Tu m’incites, et m’invites à me lever… des millions de scintillants ambassadeurs du matin ruissellent dans les ailes de la lumière du soleil… j’ouvre en grand les fenêtres et t’appelle à travers le ciel ». Le riff de guitare et basse revient une dernière fois, très musclé, avant le final qui voit reprendre le thème du couplet, en un délicat dialogue entre le piano et la guitare. En symétrique de l’introduction, le thème de piano s’effiloche progressivement, finalement emporté par un vent léger.
Parfois, en concert, le morceau s’arrête abruptement juste après la dernière reprise du riff de basse et guitare, ce qui est un peu frustrant et déséquilibre l’ensemble.
Les paroles et leur traduction sont là.
Un aboutissement...
Parfaitement et rigoureusement structurée, Echoes est, à cet égard, tout l’opposé de Interstellar Overdrive, pièce emblématique de la prime enfance de Pink Floyd, qui, par contraste, se présente comme dénuée de tout fil conducteur. Il est d’ailleurs remarquable que Echoes apparaisse moins de six mois après la dernière interprétation publique de Interstellar Overdrive fin novembre 1970. Par ailleurs, Echoes plonge ses racines dans des pièces comme Set the Controls For the Heart of the Sun, dont elle adopte la structure, ou The Narrow Way et The Embryo, dont elle adopte certaines couleurs musicales et harmoniques, leur semblant un prolongement. De ce point de vue, Echoes apparaît comme la fin, ou plutôt l’aboutissement de quelque chose, d’une époque. D’une certaine façon, cette pièce marque la véritable mort du Pink Floyd de Syd Barrett.
...mais aussi un début
Jusqu’à Atom Heart Mother, les claviers dominent assez nettement le son de Pink Floyd, tandis que la guitare s’affirme très progressivement. Echoes marque un point d’équilibre entre les deux, ce qu’exprime bien leurs dialogues en début et fin de morceau, mais désormais, la tendance va s’inverser. À l’exception de quelques passages comme The Great Gig in the Sky dans The Dark Side of the Moon, les claviers vont peu à peu s’effacer derrière la guitare pour ne conserver qu’un rôle d’accompagnement le plus souvent.
Sans que cela puisse être interprété comme une remise en cause du talent de Gilmour, l’on peut cependant le déplorer : le jeu et la créativité de Richard Wright sont trop riches et ont trop apporté au son de Pink Floyd durant toutes ses jeunes années pour qu’on n’éprouve pas quelque amertume à le voir, et surtout l’entendre, se faire de plus en plus discret. Avec le recul, Wright apparaît aujourd’hui comme un compositeur méconnu qui a offert à Pink Floyd de splendides et trop rares compositions, mais a certainement souffert dans sa créativité (et dans sa foi en celle-ci) de la mise en coupe réglée progressive du groupe par Roger Waters.
Désormais, le rapport claviers-guitare va s’inverser au profit de la seconde, qui, symboliquement, ouvrira, avec Breathe, he Dark Side of the Moon que le groupe présente sur scène dès janvier 1972, soit moins de trois mois après la sortie de Meddle. Et il y a quelque chose, dans la couleur musicale de Breathe, qui rappelle irrésistiblement Echoes et, avant lui, le The Narrow Way de Gilmour.
Pièce charnière, Echoes est bien une pierre angulaire de l’œuvre de Pink Floyd, parvenue alors à un point d’équilibre remarquable. Il est d’ailleurs significatif qu’à l’intérieur de la pochette de Meddle, Waters, Mason, Gilmour et Wright posent avec une égalité parfaite entre eux, à la limite de l’égalitarisme forcené : même plan, même pose et même maillot ou T-shirt sombre sans qu’aucun soit en relief ou en retrait par rapport aux autres. Et en noir-et-blanc, qui plus est. Plus sobre et austère, même les moines cisterciens ne faisaient pas…
La quintessence de l'équilibre
Le titre même de Meddle donné à cet album, dont Echoes constitue la pièce maitresse, est tout autant révélateur de cet état d’équilibre. En effet, ce mot, qui n’existe dans la langue anglaise que sous la forme d’un verbe intransitif signifiant « se mêler de », est un jeu, une compilation de plusieurs mots. Il évoque à la fois « middle », le milieu, c’est à dire le point d’équilibre, et « medley », le florilège ou le pot-pourri, soit le meilleur ou la quintessence d’une production artistique. « Meddle » (le mot) se rapproche également phonétiquement de « metal » et de « medal » (médaille). Autrement dit, si l’on se hasarde à une interprétation sémantique, « Meddle » serait une quintessence parfaitement équilibrée, solide comme l’acier, et digne d’une médaille. Cette dernière se concrétisera par un succès immédiat qui se prolongera longtemps dans le temps, renforcé encore 18 mois plus tard par le choc de The Dark Side of the Moon.
Échos à travers le temps
Présentée pour la première fois en avril 1971, Echoes sera jouée très régulièrement jusqu’en 1975. La version présentée dans Pompéi, scindée en deux parties qui chacune respectivement ouvre et clôt le film en longs zooms avant et arrière, est une réussite. À partir de 1974, le saxophoniste Dick Parry, qui a composé de beaux solos dans Money et Us and Them, dans The Dark Side of the Moon, accompagne Pink Floyd en tournée et complète certaines parties de guitare dans Echoes, apportant une couleur nouvelle à cette pièce vite devenue un classique du répertoire floydien, et jouée alors en rappel. Dans le même temps, le morceau est allégé de quelques longueurs, notamment dans les riffs qui suivent les couplets. De même Wright raccourcira progressivement l’intro, et c’est dommage. C’est d’ailleurs, avec Atom Heart Mother, une des rares pièces que Pink Floyd présentera sur scène dans des versions souvent plus courtes que la version officielle de l’album Meddle, et cette tendance ira en s’accentuant avec le temps, comme si le groupe cherchait une sorte de concision. Echoes sera ensuite réactivée lors de la première tournée de Pink Floyd sans Waters, en 1987. Enfin, David Gilmour la reprendra en 2006, avec Richard Wright comme invité, lors de sa tournée On An Island.
Recording echoes
Echoes figure sur Meddle en 1971, ainsi que dans la video Pink Floyd à Pompéi en 1972, scindé en deux parties ; c’est une très belle version. Il figure aussi, dans une version raccourcie, sur la compilation… Echoes, parue fin 2001.
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Auteur de la page :
Blue Berry.