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A Saucerful of Secrets

(Auteurs : David Gilmour, Nick Mason, Roger Waters, Richard Wright)

Une pièce extrêmement contrastée, emblématique de la période post-Barrett de Pink Floyd.

À l'origine

Cette pièce instrumentale naît au printemps 1968, à peu près en même temps que Careful With That Axe Eugene. Le 23 mai semble être, sous réserve, la date de sa première présentation publique, à Amsterdam. Comme Careful, elle ne porte pas encore son titre définitif, mais s’appelle The Massed Gadgets of Hercules. Ainsi est-elle présentée lors d’une session BBC de John Peel le 28 juin 1968. C’est une version très courte de moins de 7 minutes, mais tous les éléments qui constitueront le futur Saucerful sont déjà présents, même s’ils sont encore peu développés. C’est déjà un beau bébé.

Un triptyque

A Saucerful of Secrets (« une soucoupe pleine de secrets ») est un triptyque aux trois parties nettement différenciées. Bien qu’ils ne soient pas mentionnés sur la jaquette de l’album, ces trois parties portent les titres de Something Else, Syncopated Pandemonium et Celestial Voices. Entre les second et troisième mouvement se place parfois une transition nommée Storm Signal.

Le premier mouvement Something Else (« Autre chose ») est un crescendo, une montée en puissance qui s’ouvre avec le grondement menaçant de la basse, sur lequel l’orgue étire une mélodie inquiétante. Gilmour envoie sur sa guitare des glissades de bottleneck tandis que Mason et Waters, délaissant sa basse, se défoulent sur les percussions, dont un gong. Cette première partie est parfois elle-même considérée comme composée de deux sous-parties, la seconde s’ouvrant avec l’arrivée des glissendis de guitare.

Cette escalade sonore se conclut brutalement à son paroxysme. Du néant émerge alors une phrase de batterie nerveuse, répétée tout au long de ce second mouvement qu’elle soutient, Syncopated Pandemonium (« Pandémonium syncopé »). Les autres instruments construisent (si l’on peut dire) un chaos sonore : glissades de bottleneck sur la guitare, accords dissonants des claviers que Wright écrase des paumes, voire des coudes, cymbales et gong martelées avec rage. De ce second mouvement, proche des recherches de la musique contemporaine, reste l’impression globale d’une bouillie, d’une pâte sonore d’une grande violence.

Du chaos sonore du second mouvement qui s’éteint progressivement, et après la courte transition Storm Signal (« Signal de tempête ») qui peut s’étendre de quelques secondes à deux ou trois minutes d’effets sonores divers, parfois enrichis d’imprécations de Waters, passées par une chambre d’écho, émerge doucement le troisième mouvement, Celestial Voices (« Voix célestes »), présenté par une courte phrase d’orgue qui sert d’introduction à la coda proprement dite. Le contraste est total avec ce qui précède. Au chaos succèdent ordre, harmonie et sérénité. La coda, très vraisemblablement composée par Wright, est basée sur une suite de 15 accords très simples sur 8 mesures (le dernier, un fa dièse majeur 7ème, occupe toute la dernière mesure) qui se développe en une progression logique et ordonnée à partir d’un si mineur. Cette phrase de 15 accords sera répétée de quatre à sept fois selon les concerts. Progressivement se joignent à l’orgue les autres instruments, un peu plus présents à chaque reprise. C’est finalement Gilmour qui vocalise sur une ou, plus souvent, deux et parfois même trois reprises du thème, soutenu par l’ensemble de l’orchestre, y compris bien sûr sa propre guitare. Cependant, dans la première version officielle du titre, c’est à dire sur l’album éponyme, ce chorus, qui ne s’écarte guère de la grille d’accords de base comme le fera par la suite Gilmour, est interprété à plusieurs voix par ce qui semble être un chœur féminin, ou, peut-être, un mellotron.

En guise d'interprétation

Que cherche à dire ou exprimer Pink Floyd à travers cette pièce ? On a pu faire remarquer que les initiales du titre forment « S.O.S. », mais cela ne nous amène pas à grand chose… Le mot « Saucer » (« soucoupe ») du titre semble attendre le qualificatif « Flying » (« volante ») qui confirmerait la vision d’engins extraterrestres décollant ou atterrissant (avec assez peu de discrétion !) que peuvent évoquer les deux premiers mouvements, ainsi que celle de l’arrivée dans un espace serein que peut susciter le troisième. Mais tout ceci est très subjectif, et nous sommes bien tentés de renoncer à toute interprétation intellectuelle personnelle qui pourrait aliéner le simple plaisir des sensations brutes que transmet cette musique. On sait seulement que Waters et Mason ont commencé par élaborer une structure à base de dessins (n’oublions jamais que ceux-là se destinaient à la carrière d’architecte). Tout au plus peut-on avancer que les deux premières parties ne prennent tout leur sens que grâce à la troisième, qui joue sur le contraste total. En revanche, ce troisième mouvement peut très bien avoir sa vie propre indépendamment des deux autres parties, ou se relier à d’autres pièces, comme nous le verrons ci-après.

La vie de Saucerful

Saucerful sera joué régulièrement jusqu’en 1972, et occasionnellement en 1973. Il ne sera jamais repris par la suite. La pièce s’est considérablement développée depuis ses débuts, et ses dernières versions s’étirent jusqu’à près de vingt minutes. Le troisième mouvement connaîtra une destinée « parallèle » en étant intégré en 1969 dans la suite The Journey (« le voyage ») dont il sera le final sous le titre The End of the Beginning (« La fin du commencement ») ou Celestial Voices (« Voix célestes »).

Ce titre sera particulièrement approprié lors d’une splendide interprétation du 26 juin 1969 dans le cadre grandiose du Royal Albert Hall de Londres, où Wright est quasiment seul du groupe, face à une section de cuivres du Royal Philharmonic et un chœur féminin de l’Ealing Center Amateur Choir (ce qui peut préfigurer Atom Heart Mother). Dirigés par Norman Smith, le co-producteur d’alors, ce chœur chante et ces cuivres jouent sur des arrangements vraisemblablement du même Wright. Ce sera certainement la plus longue interprétation de cette coda Celestial Voices puisque la phrase-thème est reprise neuf fois, dont cinq fois par les chœurs ! Le reste du groupe rejoint progressivement Wright, les cuivres et les chœurs pendant la prestation de ces derniers, et le morceau se termine en véritable apothéose. Il est très regrettable qu’il n’en existe pas de pressage officiel.

Un morceau annonciateur

Saucerful peut être perçu comme la première tentative (réussie) de Pink Floyd de concevoir des pièces sur une structure proche du concerto ou de la symphonie classiques, avec plusieurs mouvements différents, autour d’une idée-force, d’un concept directeur. Mais à la même époque, le groupe élabore déjà des versions longues de Astronomy Dominé et Set the Controls for the Heart of the Sun en suivant des schémas semblables. À l’inverse, une autre longue pièce de cette période, Interstellar Overdrive, n’évoluera jamais en une pièce aussi rigoureusement structurée.

Cette conception annonce déjà les grands morceaux des années 70, Atom Heart Mother, Echoes et les albums conceptuels qui suivront. En ce sens, Saucerful représente une véritable pierre angulaire de l’œuvre du groupe. De surcroît, plus encore qu’avec Interstellar Overdrive ou Astronomy Dominé, Pink Floyd s’en va explorer des univers musicaux bien éloignés de la chansonnette pop, en dirigeant ses instruments du côté du free-jazz et de la musique contemporaine. Avec cette pièce, le groupe frappe un grand coup et attire l’attention de toute une intelligentsia musicale qui va en faire son groupe-fétiche, et particulièrement en France.

Trois avatars de la coda

Wright replacera son thème d’orgue deux autres fois, à peine altéré.

La première fois, à la fin de Cirrus Minor (« Cirrus léger »), dans l’album BO du film de Barbet Schroeder More en 1969, le thème, allégé de quelques accords, s’évanouit dans un vibrato.

La seconde fois, le thème est toujours utilisé en coda, cette fois pour Crumbling Land (« Pays délabré » ou « Terre branlante »), dans la BO du film de Michelangelo Antonioni Zabriskie Point (1970).

Un troisième avatar de cette coda est beaucoup plus caché. Il est dans la toute première version de The Great Gig in the Sky (« La grande gigue- » ou « le grand chariot- » (La Grande Ourse) ou « le grand show dans le ciel ») de l’album The Dark Side of the Moon (1973), qui s’intitulait, début 1972, The Mortality Sequence (« La séquence mortuaire »). Dans cette pièce qui ne sera jamais enregistrée officiellement, le thème de la coda de Saucerful se discerne à peine, car il est joué partiellement seulement, et surtout… à l’envers.

A (little) saucerful of records

A Saucerful of Secrets figure officiellement dans l’album éponyme de 1968, ainsi que dans Ummagumma en 1969, dans une honnête version publique. La version présentée dans la vidéo Pink Floyd à Pompéi (1972) est purement et simplement bâclée comparée à celles, grandioses, que présentait le groupe sur scène à la même époque.


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Auteur de la page : Blue Berry.

from-dawn-to-the-moon/a-saucerful-of-secrets.txt · Dernière modification : 06/09/2014 à 00:34 de blue-berry

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