The Embryo
(Auteur : Roger Waters)
Quelles sont les pensées d’un bébé avant sa naissance ? C’est la question que s’est posée Waters, et à laquelle il tente de répondre par cette composition qui restera pendant trois ans un des grands morceaux de scène de Pink Floyd… pour ne connaître une consécration discographique que modeste et très tardive !
Une édition discographique toujours ajournée
Voilà sans doute la pièce la plus frustrante de tout le répertoire floydien : présentée en public dès la fin de l’année 1968, elle sera jouée de manière très régulière jusqu’à la fin de 1971, laissant toujours espérer la voir figurer enfin sur un album. Il faudra attendre 1983 et la sortie de la compilation Works (« Œuvres » ou « Opus » au pluriel, rien que ça !) pour en découvrir une petite version studio de 1969.
Qu’est-ce qui a incité Pink Floyd à toujours ajourner ainsi l’édition discographique de cette pièce pourtant solidement installée dans son répertoire, et qui, prévue à l’origine pour Ummagumma, aurait pu figurer très honorablement sur la face B d’Atom Heart Mother ou la face A de Meddle ? Certainement le groupe et son manager pensaient-ils à ces moments-là avoir un matériel plus intéressant à proposer, en se disant « on verra plus tard », ce qui peut se discuter. Vraisemblablement aussi, le format des 33 tours de l’époque, avec ses 45 minutes maximum , ne permettait-il pas de s’offrir le luxe de mettre tout ce qu’on souhaitait sur la galette de vinyle et obligeait à des choix parfois cornéliens. Il n’est même pas sûr que Waters lui-même puisse fournir une réponse claire sur l’abandon de ce titre aujourd’hui bien loin dans sa mémoire…
Baby cool
À ses débuts, The Embryo (« L’embryon ». était-il nécessaire de traduire ?) est une petite chanson éthérée à la mélodie et aux paroles très « Flower Power » : « Tout cet amour, c’est moi / et je suis une petite boule… je suis tout petit, et si nouveau comparé à toi… j’entends autour de moi des sons étranges… nuit noire et lumière rouge.. l’attente ici s’éternise en années, je n’ai jamais vu le spectacle du soleil et bientôt je le découvrirai … ». Bref, s’il trouve le temps un peu long, Bébé est plutôt cool et tout baigne pour lui dans le meilleur des liquides amniotiques, même s’il est curieux et pressé de voir comment ça se passe dehors (s’il savait !…). Curieusement, Waters ne fait aucune allusion à son père Eric qu’il ne connaîtra pas, mort à la guerre pendant sa toute petite enfance, comme il le fera plus tard dans Free Four (album Obscured by Clouds 1972) par exemple.
On dirait que le bassiste n’a pas encore conscience des troubles psychologiques qu’a pu lui causer bien normalement son orphelinat, ou qu’il les occulte délibérément. Ou plus vraisemblablement n’en a-t-il délibérément pas chargé son sujet, pour en faire une composition au thème généraliste concernant un vaste public, plutôt qu’une introspection personnelle qu’il se trouverait bien l’occasion d’explorer ultérieurement.
Les paroles et leur traduction sont là.
Acide amniotique…
« Planant » est bien le qualificatif qui sied à The Embryo au début de sa… gestation, fin 1968. Trois à quatre minutes d’un chant très cool de Gilmour, soutenu par sa guitare acoustique et l’orgue tout aussi cool de Wright.
Mais bien vite, le bébé va prendre de la vigueur et se révéler, bien au chaud dans sa confortable matrice, de la graine de rocker. C’est la guitare électrique, nerveuse et musclée, qui va introduire et dominer les versions publiques qui vont, à l’instar de Cymbaline dont elles rappellent la structure, se développer sur une dizaine de minutes. Certaines versions, heureusement rares car confinant au bavardage musical un peu stérile, se prolongeront même sur plus de 20 minutes !
Le chant est tenu par Gilmour et Wright. Puis la guitare ré-expose vigoureusement le thème, avant de laisser l’orgue prendre quasiment seul le relais. Des rires d’enfants complètent le tableau, bientôt recouverts par de sinistres cris d’oiseaux sortis de la guitare de Gilmour, les mêmes que l’on entendra plus tard dans la séquence du vent, au début de la seconde moitié de Echoes. Le caractère tourmenté et presque violent de cette orchestration contraste avec l’ambiance lénifiante que décrit l’embryon dans ses couplets. Le liquide amniotique a un goût acide… Lors des dernières présentations publiques de Embryo, les cris d’oiseaux disparaîtront, comme si ces volatiles migrateurs avaient définitivement rejoint Echoes qui commence alors sa carrière scénique.
Récurrence de thèmes
Il est permis de voir en The Embryo une des pièces, au nombre desquelles figure aussi The Narrow Way, dans lesquelles, justement, Echoes prendra musicalement ses racines. D’autre part, ce ne sera pas l’unique occasion pour Waters de s’interroger sur la vie intra-utérine : en 1970 il collabore avec son ami Ron Geesin à la BO d’un film paramédical, The Body, où il est longuement question, à travers plusieurs compositions musicales, de ce thème qu’il replacera dans une autre BO, celle de Zabriskie Point, à travers Heart Beat, Pig Meat.
Enfin bien sûr, The Embryo se trouve une suite logique dans Breathe qui introduit The Dark Side of the Moon. D’ailleurs, The Body contient déjà une jolie ballade acoustique qui porte le même titre Breathe et commence par le même vers Breathe in the air… (ce qui, il est vrai, n’est pas d’une originalité à couper… le souffle). Pour sa place dans l’histoire de la création floydienne, The Embryo méritait mieux que le quasi-oubli et le purgatoire qui sont les siens.
Discographie
The Embryo ne figure officiellement que sur la compilation Works, sortie en 1983, et dont c’est d’ailleurs le seul intérêt.
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Auteur de la page :
Blue Berry.